Bon, je n'étais pas si certain que mon intervention était à point mais je la remets car on me le demande, et si gentiment, alors...voilà:
Après avoir lu moult commentaires de part et d’autre, voici mon grain de sel si vous me permettez.
Je suis à l’aube de la retraite après 35 ans de métier de pilote de brousse et j’aimerais plus que tout au monde vivre éternellement pour continuer à me promener dans ces tas de tôle rivetée ensemble et découvrir une planète toujours de plus en plus fascinante.
Je parcours ce temps-ci un des plus beaux terrains du monde, soit la toundra sub-arctique entourant un patelin misérable appelé Kuujjuaq. J ‘ai le privilège de faire ça aux commandes du plus beau des Beaver qu’il y ait. Il est tout refait à neuf mais de la façon d’antan. S’asseoir dedans est un voyage dans le temps, rien de moins.
Depuis cinq semaines que je vole chaque fois QUE LA MÉTÉO LE PERMET et jamais je ne me suis senti en danger à date. En fait, la dernière fois que j’ai regretté d’être en vol plutôt que d’être cloué au sol remonte à 1999. J’ai toute une histoire à conter au sujet de ce vol qui a failli me coûter la vie mais dont je me suis sorti grâce à je ne sais quoi. J’avais agi comme un parfait imbécile en acceptant ce vol et il m’arrive encore de me réveiller avec des sueurs glaciales et à bout de souffle quand des bribes de ce vol se faufilent dans mes rêves.
Oui j’ai volé en surcharge extrême. J’ai charroyé des freighter de dix-huit pieds avec des Cessna bondés de monde. Oui on assoyait nos passagers sur des glacières et des sacs à dos sans ceintures, on pilotait des avions snaggés dont les inspections étaient gravement passées dûes. Oui, on volait aussi avec des gueules de bois et serions aujourd’hui passibles de suspensions de licences, voire même de prison. On poussait la météo à se faire cier, tentant de dissimuler notre effroi aux pauvres clients inconscients du risque. Oui, on a fait des écarts de route sans aucun plan de vol, ni gps ni Spot, mal habillé pour un temps glacial, sans équipements de survie, etc. Oh oui et aussi amerrir un Otter à pistons en pleine noirceur dans 30 kts de vent dans le dos pour avoir les lumières des bâtisses de Squaw Lake comme balise dans la pluie battante, etc. La liste est trop longue pour tout mentionner ici. Ça prendrait une autobiograhie qui se voudrait une confession pour tout mettre…et surtout une mémoire d’éléphant.
Mais les choses ont changé. Ou serait-ce moi, ou nous, pilotes, qui avons changé?
Peut-être que ces histoires de compagnies obligeant les pilotes à voler dans des conditions qu’ils jugent risquées, illégales, ou irraisonnables existent encore et si oui, serait-ce parce que les pilotes qui les constituent agissent de sorte que ces pratiques se perpétuent?
Depuis des années, chaque fois que j’ai refusé un vol ou ai rebroussé chemin parce que je n’aimais pas qu’il y avait devant moi, personne, ni le chef pilote ou les clients, ne m’ont fait de remarque négative quant à ma décision. Cette décision ne revenait qu’à moi, le responsable de cet avion et de ce vol. On m’a même, à quelques reprises, qualifié de « vrai professionnel » pour avoir décidé de rester au sol quand le temps était douteux. Je suis assis dedans aussi et la dernière chose que je veux est de me faire mal.
On m’a souvent dit : « Fais attention, il y a un bébé naissant à bord! ». J’ai toujours répondu que je ne changerais rien du tout pour ce vol : je fais toujours attention, beubé ou pas à bord. JE SUIS ASSIS DEDANS et je ne veux pas me faire mal.
Rappeleons-nous maintenant leurs histoires de trous de fromage qu’ils nous content tous les ans pour la modique somme de $350 dans le cours de Facteurs humains. N’empêche que ces trous alignés sont ce qu’il y a de plus vrai. Tout accident résulte d’une série de choses qui clochaient, dont on n'a pas tenu compte et qui se sont additionnées jusqu’à l’obtention du total, qui s’appelle accident.
Il y a aussi ces ovales concentriques, vous avez vu? J'adore ce dessin.
Quand je vole par une merveilleuse journée sans météo significative, sourire fendu jusqu'aux oreilles et les oiseaux aussi, je suis dans le cercle de confort. Je jouis comme ça se peut pas et j'ai presque hnte d'être payé.
MAIS... étant un professionnel rémunéré pour mes services et ayant un produit à livrer, je dois à l'occasion patauger dans la zone limite. Exemple: il mouille à siaux, ça brasse, la visibilité est médiocre mais je suis capable de faire ce vol sans risque et sans trouver ça amusant, en me forçant le derrière. Là je n'ai plus aucun fun et trouve la journée longue; je travaille au lieu de m'amuser. C'est normal et ça fait partie du métier.
Il y a une différence vitale entre "aller voir" et traverser une "patch" de météo. Un pilote de brousse doit parfois "aller voir" si c'est si mauvais que ça parait au lieu d'annuler définitivement la partie de pêche des clients.
On peut s'approcher de la soupe et l'examiner un peu tout le tour, sans aller carrément dedans et le regretter. C'est pratique courante et je n'y vois rien de mal, au contraire. Le plus souvent, ça "passe" jusqu'à destination.
Un ami qui m'était cher s'est un jour pas lointain fourvoyé dans ses cercles. Il a confondu, et pas à peu près, les zones limite et risque, jusqu'à DANGER dans l'exercice de son devoir. Le résultat fut une catastrophe qui a démoli des familles et des cercles d'amis. Ce fut un cas d'erreur de pilotage majeure. Une bête erreur. Personne n'avait le moindrement soupçonné la tragédie.
Un bon pilote, peu importe s'il est étudiant, privé ou professionnel, qu'il ait 20, 200, 2,000 ou 20,000 heures de vol, voit à ne pas excéder ses propres capacités. C'est une attitude qu'il devrait avoir, celle de ne pas essayer ce dont il n'est pas absolument certain qu'il peut faire sans aucun risque.
Le moindre risque pris par un pilote est une erreur ou une conséquence à une décision erronnée. Chaque vol doit être effectué sans prendre aucun risque. C'est simple: si tu n'aimes pas les conditions, tu n'y vas pas et si tu es parti en sous-estimant ces conditions, vire de bord pendant qu'il en est temps avant que tout ne commence à empirer et qu'il n'y ait plus de porte de sortie.
Si tu n'es pas à l'aise avec un monomoteur au-dessus de la forêt, fais tes itinéraires en conséquence et ne survole que des champs et des routes. Tu ne feras évidemment jamais un pilote commercial mais tu te sentiras toujours confortable dans tes randonnées. Si le vent représente un défi, tu peux toujours planifier ton vol de façon à avoir des pistes orientées dans le vent. Un pilote commercial qui refuserait un vol parce qu'il prévoit un vent de travers de 20 noeuds ne devrait pas faire ce métier.
Personnellement, j'ai une confiance raisonnable en nos moteurs, lorsque bien entretenus, et mes itinéraires sont rarement modifiés à cause du relief que je survole. Je ne me sens pas plus exposé que ça à un accident d'avion. Je peux me faire tuer en allant chercher un litre de lait au dépanneur ou en travaillant sur ma toiture.
Pourquoi alors n'ai-je plus jamais peur dans un avion piloté par moi-même? Je suis confiant que ça ne m'arrivera probablement plus. Ou suis-je rendu mémère et il adonne que j'ai la chance de travailler pour des mémères comme moi depuis des années?
C'est peut-être aussi parce que les risques que j'ai pris plus jeune, que les Dieux m'ont pardonnés car je peux aujourd'hui écrire ces lignes, ont contribué à devenir un pilote plus sécuritaire? ou mémère?
Comment se fait-il qu'on n'ait plus jamais d'histoire à conter en revenant d'une journée de vol?
On apprend aussi des erreurs des autres et heureusement car on ne vivra jamais assez vieux pour toutes les commettre.
Gilles, qui ne veut pas mourir dans un avion.