Neil,
En voici un peu plus... histoire de te faire coucher tard ce soir. Le texte qui suit devrait être lu avec une saine distance par rapport à l'événement récent à YQB. Il fait écho à des messages précédents dans ce forum par rapport au train rentré/sorti, aux volets, et certainement par rapport à la capacité de monter ou non après la panne d'une des deux turbines.
Il existe deux conséquences négatives à la panne moteur : la dégradation du taux de montée et le lacet. Trop souvent les discussions portant sur la vitesse minimal de contrôle en vol "Vmca" sont centrées sur le contrôle de l'aéronef en occultant l'aspect performance. C'est dommage parce que les épisodes de vol à la Vmca sont pratiquement toujours à la suite d'une panne de moteur au décollage alors qu'il faut passer par-dessus des obstacles dans l'environnement de l'aéroport. Or un grand nombre d'avions bimoteurs légers peuvent difficilement maintenir l'altitude, et encore moins monter, lors de la perte d'un moteur à moins de réduire au minimum toute production de traînée. Sans la rétraction systématique du train, le vol est souvent impossible et le concept d'une vitesses Vmca devient tout simplement inutile.
La FAA a décrété que le calcul de la vitesse Vmca devait se faire train rentré (14 CFR 23.149)
parce qu'il était préférable que les pilotes associent cette configuration à Vmca, ne serait-ce pour favoriser les automatismes de rétraction de train au décollage. Il faut donc comprendre que la configuration "train rentré" associée à Vmca existe pour favoriser un meilleur taux de montée, et non pour contrôler le lacet résultant de la traction asymétrique.
Le train. Que le train d'atterrissage soit rentré ou sorti affecte peu le lacet en panne moteur. En attaque oblique, la roue de nez contribue négativement à la stabilité en lacet en entraînant le nez de l'avion du côté moteur mort. Inversement, la jambe de train principal qui est baignée par le souffle de l'hélice crée plus de trainée que l'autre jambe et provoque un lacet côté moteur vivant, annulant le lacet de la roue de nez. Quant à elle, la jambe de train principal côté moteur mort ne contribue pas au lacet de façon significative. Il est à noter qu'un avion qui serait muni de jambes de train principal très loin en arrière des moteurs pourrait, hypothétiquement, bénéficier de la descente du train pour ce qui est du lacet, mais jamais pour ce qui est du taux de montée.
L'inclinaison. La norme de cinq degrés d'inclination n'est pas une religion et devrait être enseignée avec ouverture d'esprit en expérimentant plusieurs autres inclinaisons pour fins de comparaison. En effet, cette norme n'est imposée qu'aux manufacturiers au moment de la certification de l'aéronef et ne s'applique pas aux pilotes, ni pendant les vols réguliers, ni pendant le test en vol (TP219F, avril 2005 ). Pendant une vraie panne de moteur, le pilote n'est limité que par les lois de l'aérodynamisme et devrait configurer son avion pour obtenir les meilleures performances et le meilleur contrôle, deux buts diamétralement opposés en matière d'inclinaison. Les 5 degrés d'inclinaison n'offrent aucune garantie de meilleure performance. Il se peut que votre avion en requiert plus, ou moins (normalement moins) pour monter le mieux possible. La règle d'or est que l'inclinaison ne sera jamais un substitut à la quantité de vitesse au-dessus de Vmca.
Jamais la reprise de contrôle d'un avion qui s'est aventuré sous Vmca devrait se faire en inclinant davantage du côté du moteur vivant. Les seules options disponibles sont la réduction de la puissance du moteur vivant et l'augmentation de la vitesse (en sacrifiant de l'altitude). Si la panne est survenue à très basse altitude dans un petit bimoteur, et que la vitesse glisse sous Vmca, comme écrit plus tôt ce soir, la seule option est de contrôler la trajectoire d'impact au sol. Par en bas.
Je me souviens d'une autre époque de ma vie, aux commandes d'un misérable Swearingen SA26-AT Merlin 2B équipé de moteurs Garrett TPE 331-1 qu'on trouvait dans des boites de Cracker Jacks. Un avion qui volait comme un piano et qui a tué son lot de passagers. Mon briefing de décollage était : "
Panne moteur au décollage : on la crisse à terre n'importe où, ça fera un 2B de moins en circulation. ."
La masse. La FAA a toujours précisé dans sa description des critères d'établissement de la Vmca que l'avion devait avoir "the most defavorable weight". Malheureusement, les auteurs américains de l'époque (dont T.M. Smith de Pan American Airlines en 1964 puis la maison Jeppesen Sanderson) ont mal interprété la directive de la FAA et ont promu, à tort, que la Vmca devait être établie à MGTOW. Cette erreur a persisté de longues années avant d'être corrigée. La mise à jour d'avril 2005 du Guide de test en vol de TC devait définitivement mettre un terme à la confusion.
La figure ci-dessous nous montre deux bimoteurs identiques, celui de gauche est plus lourd que celui de droite, mais les deux ont la même inclinaison côté moteur vivant. La masse de l'avion au moment de la panne de moteur affecte la valeur Vmca. En effet, une fois que le braquage du palonnier atteint sa valeur maximale (à la butée de débattement ou à 150 lbs de pression sur la pédale du cockpit) le lacet résiduel (dessiné en vert) doit être contré en inclinant l'avion côté moteur vivant pour exploiter la composante horizontale de la portance. En virage en palier, plus l'avion est lourd, plus la résultante de portance est grande et permet de contrer un lacet important. Un avion plus léger nécessite moins de portance pour demeurer en palier et verra sa composante horizontale réduite d'autant. La figure ci-dessous montre qu'à une inclinaison et une vitesse données, le bimoteur de droite souffre d'un déficit de composante horizontale de portance pour contrer le lacet de panne moteur.
Tel que discuté au paragraphe précédent, le pilote de cet avion doit donc augmenter la vitesse indiquée pour accroître l'efficacité du palonnier. La nouvelle vitesse qui fera que le lacet arrêtera complètement sera la Vmca de l'avion allégé. On peut ainsi comprendre que plus l'avion est léger, plus la Vmca augmente. En fait, tout ce qui réduit la portance va nécessairement réduire sa composante horizontale et ainsi nuire au contre-lacet, d'où la nécessité d'augmenter la Vmca.
Tout ça pour dire que...
Une situation critique serait de se retrouver à Vmca tôt après le décollage pendant une panne de moteur et rétracter les volets qui étaient partiellement sortis. Ce changement de configuration va réduire la portance et créer un lacet vers le moteur mort. A tort le pilote aura tendance à incliner l'avion davantage, au détriment de la performance en montée et ainsi percuter le sol dans une assiette moins qu'optimale. C'est précisément à cause de ce scénario fréquent que vous entendrez dire parfois que les monomoteurs IFR sont plus sécuritaires lors d'une panne moteur au décollage que les bimoteurs de moins de 12,566 lbs MGTOW.
Encore une fois, le but de ces propos est instructif, et non en jugement pour un événement ou un autre. Merci
Jean LaRoche
CQFA