Le programme de la journée du 7 novembre 1993 s’annonçait intéressant pour Yves Guay, un pilote d’avion de Québec. Membre des Ailes Québécoises, un club de pilotes et de mordus de l’aviation, Yves était heureux de pouvoir assister au premier vol en solo de son ami Fernand Poulin.
En compagnie de sa compagne Lilianne, il avait prévu assister à ce solo pour apporter son soutien au nouveau commandant de bord. D’ailleurs, c’était Yves qui avait convaincu celui-ci d’acheter un avion pour suivre son cours, plutôt que de louer des heures dans différents appareils. Micheline, la femme de Fernand, avait également cédulé une petite fête intime qui aurait lieu chez-elle en après-midi.
Pour occuper le temps d’attente, Yves offrit à Lilianne d’aller dîner à Trois-Rivières. Le vol de Québec vers Trois-Rivières se déroula normalement. Ils mangèrent au restaurant de l’aéroport. Puis vinrent les préparatifs pour le retour.
Lilianne prit place à gauche. Yves avait accumulé beaucoup d’heures à droite, et il se sentait aussi à l’aise que de l’autre côté. Rien de particulier lors des vérifications pré-vol. Un vent de face de 20 nœuds soufflait de l’ouest. La montée allait se faire allègrement, et le retour vers CYQB serait rapide.
Le Piper Warrior, avec un cran de volets, roula de plus en plus vite, devint plus léger que l’air et quitta le sol pour entreprendre sa montée initiale. Soudain, à 300 pieds sol (91 mètres), la puissance diminua presque complètement.
Le moteur ne s’était pas arrêté mais ne fournissait plus l’effort nécessaire pour poursuivre la montée. Déjà, l’avion dépassait l’extrémité ouest de la piste 23. Trop tard pour penser à tout fermer et se poser sur la piste restante. Trop bas pour espérer effectuer un virage à 180 degrés pour se poser sur la piste 05, en raison des dangers causés par la perte de puissance ajoutée au virage à grande inclinaison devant être effectué à basse altitude.
Lilianne réalisa, en voyant la fin de la piste défiler sous leurs roues, comme il était tentant de revenir se poser sur celle-ci, « en espérant que tout se passerait bien ». C’eût été inviter le désastre.
Yves était convaincu qu’il fallait continuer à voler vers l’ouest. Il avertit Lilianne qu’il reprenait les commandes et saisit le micro pour déclarer une urgence (panne de moteur) aux opérateurs de l’aéroport de Trois-Rivières. « En déclarant ma panne, j’ai remarqué avoir coupé les communications de quelqu’un sur la fréquence, mais j’avais des tâches urgentes à accomplir et je n’avais pas le choix », dit-il. Il jeta ensuite le micro sur le banc arrière.
Une situation se présentant d’abord comme normale faisait maintenant place à une urgence majeure à proximité du sol. Aucune comparaison avec le pilote qui éprouve les mêmes difficultés à une altitude de 3000 pieds sol (984 mètres) : celui-ci a alors suffisamment de temps et d’espace pour effectuer des vérifications, choisir l’endroit où il décidera de se poser et effectuer les tâches nécessaires.
Malgré le degré de tension soudaine causé par un tel incident, tous deux gardèrent leur sang-froid. Yves effectua les vérifications des instruments tout en gardant l’œil dehors : il lui fallait d’abord voler l’avion. Tout le reste n’était qu’accessoire.
Face à eux, une ligne de grands arbres dépouillés de leurs feuilles montraient les pointes acérées de leurs branches. Yves dit à Lillianne : « Si tu vois un champ libre d’obstacles de l’autre côté de cette ligne d’arbres, dis-le moi, car il nous faut nous poser droit devant. »
Quand il tenta de mettre en marche le réchauffe carburateur, la situation empira : il en ferma vite la manette. Le moteur tournait au ralenti, mais vu le mouvement rotatif continuel de l’hélice, la traînée s’en trouvait du coup réduite.
À la vue des arbres se rapprochant dangereusement de leur ligne de vol, Yves donna au Piper une autre coche de volets pour tenter de dépasser cet obstacle. Bonne décision. La vitesse de réaction des volets (opérés manuellement sur le Warrior) se révéla un véritable atout ce jour-la. Un autre type d’appareil équipé de volets électriques n’aurait pas pu réagir aussi vite. L’avion grimpa tout à coup d’un bon 50 pieds (15 mètres), ce qui lui permit de franchir de peu la ligne d’arbres menaçants.
Ensuite ils se mirent à perdre de l’altitude : il fallait garder la vitesse de vol plané et trouver vite un endroit où se poser. Ils ne pouvaient voir très loin devant eux. Puis, juste au-delà et à droite de la ligne d’arbres, Yves aperçut un champ de labour assez vaste. Il se dirigea droit sur cette piste improvisée.
À l’aéroport de Trois-Rivières, on avait entendu l’appel d’urgence. La jeune fille responsable des communications à l’aéroport rappela pour vérifier et confirmer l’identité de l’avion en difficulté. Yves, tout occupé à ses tâches, dit à Lilianne : « Le micro est derrière. Suis le fil et tu vas le retrouver. » Elle le trouva et le tendit à Yves, qui donna sa position. Tous les autres pilotes laissèrent libres les ondes pendant ces secondes cruciales. Ensuite, un pilote d’hélicoptère appela : « Mon moteur tourne déjà, et je vais me rendre vous voir dans quelques minutes.»
La descente se poursuivait et le Warrior approchait du point d’impact. Devant eux s’étendait un champ de labour qui semblait assez mou, et l’appareil devrait se poser dans le sens contraire des sillons, pour garder le nez dans le vent. Cela ajoutait sensiblement au degré de difficulté.
Quand le pilote fut certain de pouvoir atteindre le champ, il sortit les volets au maximum et souleva le nez autant qu’il le pouvait. Convaincu que la roue de nez ne résisterait pas à l’énorme pression d’une décélération rapide dans la terre molle, et que l’appareil se retournerait à l’envers après le contact initial, Yves s’assura que leurs ceintures étaient bien attachées et il entrouvrit la porte, située du côté droit, au cas où celle-ci demeurerait coincée après le renversement. Il effectua aussi toutes les procédures d’urgence habituelles (incluant « fuel off et master off »).
