J'ai déjà aimé les enfants. Beaucoup. Je les aimais, en retour ils m'adoraient. C'était avant mes neveux. Des snobs qui se croient issus de la cuisse de Dieu. Persuadés qu'on devrait tous se prosterner devant eux parce qu'ils sont eux. Laids en plus: ils me ressemblent comme deux gouttes d'eau. Mais ils me ressemblent comme je suis maintenant, pas comme le jeune homme jeune et mince que j'étais à leurs âges. Sont déjà gros et laids. Et ma soeur, leur mère, qui ne cesse de dire: C'est de ta faute si ils sont comme ça, regardes, c'est toi tout craché. Comme si c'est moi qui avait engrossée ma propre soeur ! Comme si c'était moi qui était leur père à ces escogriffes. Ca a joué dans ma décision de ne pas avoir d'enfant, paniqué à l'idée que mon ADN pourrait cloné un autre du genre de mes neveux.
Maintenant quand je vois des enfants, même les plus beaux, même les plus fins, même les plus enfants, si je sens une seule goutte de cet ingrédient qui font des enfants des enfants-rois, une seule goutte, et mon intérêt tombe immédiatement. Et pour tout avouer, quand je vois des enfants, même les plus beaux, même les plus fins, même les plus enfants, je me force à les espionner pour essayer de leur en trouver une, une goutte de merde, une seule, pour pouvoir les mépriser. Pour me rassurer sur le fait que mes neveux ne sont pas plus pire que les autres. Me confirmer que j'ai bien fait de refuser de me reproduire, qu'ils sont cons et moi, moins, d'arrêter la lignée là. Même ma petite nièce, une adorable enfant mignonne comme vingt, a commencé à montrer des petits signes typiques d'enfant-roi qui tiennent pour aquis qu'on devrait s'intéresser à eux juste parce qu'ils sont eux. Je lui pardonne cependant, parce qu'elle est fille unique, parce qu'elle est encore 99% mignonne, parce qu'elle vient de déménager à Outremont: il est bien difficile, même pour une enfant, de ne pas se croire le centre de l'univers quand on habite l'Outremont bourgeoise. Je sais de quoi je parle, je l'ai moi-même habité.
C'est ainsi que je leur cherche bébitte aux enfants. Et j'en trouve toujours. Et content d'avoir trouver, je rentre chez moi, seul, avec le grand sourire de l'épais satisfait d'avoir trouver quelque chose à redire. Le rictus suffisant de l'imbécile qui a eu raison sur les autres. Content de moi d'avoir trouvé défaut chez un enfant. Rassuré sur mon choix. Je me loue un film cochon, je m'achète un gros sac de croquette au fromage, je m'installe devant ma télévision et je me mets au travail de m'oranger la machine à spermatozoïdes.
Seul.
Après, j'écoute les nouvelles. Pour m'endormir. Ils disent que Céline est enceinte de jumeaux, clinique de fertilité oblige. Deux pour le prix d'un. Une aubaine.
Hier, à Northfield, c'était le grand rendez-vous nord américain des Citroenistes. Il y en a pas beaucoup. Une centaine. J'y suis toujours. Question de me rassurer que ma passion n'est pas vaine. Aussi par vice. Il y a toujours là un type qui accompagne la fille de Monsieur Gendron. Je le soupconne d'être d'un goût sexuel plus intéressé par monsieur Gendron que par sa fille mais ce type à une voix qui me fait capoté. Il parle avec la douceur du cashmire. Lentement, posément, il chuinte dans des explications sans fin. Je sais pas pourquoi mais sa voix me fait vibrer la nuque et la colonne. Un genre de massage interne qui me saoule. Une vrai drogue. Alors je lui pose toujours quelques questions sur le circuit hydraulique des Citroen et il part dans ses explications techniques sans se douter que je suis là, les yeux à moitié fermé, à jouir de ce son qui m'electrise la colonne. Une demi-heure plus tard, me sentant coupable de prendre tant de plaisir dans une sonorité masculine pourtant banale et même un peu nasale, je l'interromps et je quitte. Le personnage n'est d'aucun intérêt, ce qu'il dit non plus, mais sa voix rentre en résonnance avec ma colonne pour un effet étrange.
Dans le champ qui recevait toutes ces Citroen dont aucune ne se prenait pour une enfant, je rejoignis MTT. J'avais la main appuyée sur le cadre de la portière de son camion à lui parler. FM, elle, jouait à la maternelle avec les enfants avec les enfants regroupés à l'intérieur d'un rayon de dix pieds autour du campeur, rayon au-delà duquel rien n'existait. Des jouets, tous faisant appel à la créativité. Une mère comme on aurait rêvé d'en avoir eu une. Un père superviseur et pourvoyeur qui voyait à la sécurité de tout ça et dont la voix se faisait entendre seulement quand il s'agissait de garder les petits dans les limites du cercle de sécurité affective. Un seul pied à l'intérieur de ce cercle et les enfants vous dévisagaient avec des yeux grands comme des deux dollars, des yeux curieux, étonnés de voir que le père vous avait laissé approcher si proche. FM de de parler un poil plus fort, question de ramener l'intérêt vers le jeu autorisé. Une famille. Une famille d'individus mais une famille. Un rêve de deux individus devenus cinq. Un rêve réalisé dans l'amour, dans le respect. Un rêve si difficile à concrétiser. Un rêve pourtant si normal. Et moi de continuer de parler à MTT des vrais valeurs de la vie, les Citroen et les chars. Et lui d'être tout là, en même temps pour moi et pour eux.
Je ne l'ai pas vue venir, je ne l'ai pas vue bouger, elle m'a pris par surprise comme rarement on m'a pogné. Un effleurement, même pas une caresse, sur la main appuyée sur le truck. Une douceur incroyable dans le geste comme dans le grain de peau. Un frôlement quasi imperceptible. Un battement de cils sur ma peau nue. Un courant d'air de papillon. Une minouche de rêve qui vous revire le coeur. Elle me regardait en se cachant à moitié dans le cadre de la portière: Matou. La main tendue caressant la mienne. Un nuage de tendresse. Le nez un peu morveux. Une adorable bou-de-chou. Elle était venu me chercher. Presqu'invisible. Juste un petit effleurement sur mon bras. Elle m'avait eu. Elle me déclarait sans dire un seul mot: "Je suis là, moi aussi, monsieur, je m'appèlle Matou... et vous?"
Oui, mon petit coeur, tu es là. C'est vrai que je t'avais pas vue. Mais maintenant je t'ai sentie. Tu m'as mis les yeux tout humides. Et je ne l'oublierai jamais. Merci mon petit amour.
Je suis rentré Dimanche. Six heures de route. Passé voir mon père pour la fête des pères et lui remettre une bébèlle acheté en vitesse aux States. Mes neveux étaient là. Pour la première fois de ma vie, je crois bien que je les ai trouvé moins cons. Je me suis même surpris à imaginer quels enfants ils auront. Peut-être qu'ils seront beaux. Peut-être qu'ils seront tendres. Peut-être les réussiront-ils. Avec quelques gouttes d'ADN d'une autre souche, c'est fou ce qu'on peut faire aujourd'hui. Je suis rentré chez moi.
Seul.
Pas d'arrêt au club vidéo ce soir. Pas de croquettes aux fromages. Anyway, ça tache trop à la longue.
Merci mon enfant.
Merci pour ton effleurement de tendresse.
Merci pour ta caresse, je ne l'oublierai jamais, elle m'a rendu un peu moins con
Bonne fête des pères, M. Angélil.
Bonne fête des pères, à tous ceux qui le sont.
Bonne fête, Papa. Merci pour m'avoir aimé. Merci d'être encore là.
Mais pour moi, il est trop tard. Je ne serai jamais papa.
Louis
