Demain, nous avons prévu une longue journée de vol, un peu plus de 1200 nautiques, 4 fuseaux horaires à traverser et une branche avec un nombre restreint d'aérodromes de dégagement. On aurait bien voulu trouver un hôtel à une distance raisonnable de marche de l'aéroport mais comme à l'habitude, si on ne réserve pas à l'avance en semaine, c'est complet à Iqaluit.
Après un bon nombre de coups de fils, on réussit à trouver un Bed and Breakfast en banlieue d'Iqaluit à Apex (oui oui, la banlieue d'Iqaluit, ça existe) pour un tarif raisonnable. De toutes façons, on n'a pas le choix, c'est ça ou encore on squatte le terminal pour la nuit. On fait toujours des rencontres intéressantes dans ces villes du Nord, Rannva Erlingsdottir Simonsen fashion designer native des Iles Féroe est venue s'installer au Nunavut après avoir passé du temps au Danemark et à Ottawa. Pour arrondir ses fins de mois, elle dispose de quelques chambres dans l'arrière boutique qu'elle met en location.
Après avoir fait le plein (enfin presque le plein parce que l'AVGAS s’achète par baril de 208 litres là bas), mangé une poutine dans le Snack tenu par la mafia francophone d'Iqaluit, nous sautons dans un taxi communautaire conduit par Aziz, palestinien tout juste arrivé de Jérusalem il y a 3 mois qui officie maintenant comme chauffeur de taxi à Iqaluit pour aller prendre nos quartiers à Apex.
Ensuite, commence la préparation sérieuse du vol, bonne nouvelle, un anticyclone quasi-stationnaire s'installe sur l'Île de Baffin donc a part des nuages bas, on devrait avoir une plutôt bonne météo pour le décollage. Cependant,, il ne faudra pas tarder car une perturbation devrait arriver sur la côte ouest du Groenland et apporter de grosses averses de neige en milieu d'après-midi.
Pour assurer le coup, je propose un décollage à 5h00 du matin, cela devrait nous faire arriver à destination environ 50 minutes après l'ouverture de l'aérodrome et nous permettre d'avoir les premières observations météo nous pour se replier si nécessaire. Je passe un dernier coup de fil à Qikiqtarjuaq et à Sisimiut et je m'assure de la disponibilité d'avgas en cas de déroutement, officiellement, il n'y en a plus sur ces deux terrains mais il y a toujours moyen de dépanner un pilote dans le besoin.
Un petit briefing tactique auprès d'Arctic Flight Service Station et du Kangerlussuaq Met Office et on va se coucher, réveil matin prévu à 2h00 du matin. En effet, le taxi d'Iqaluit ferme entre 03h00 et 05h00 du matin et avec la température actuelle, il est hors de question de marcher les quelques kilomètres séparant Apex d'Iqaluit. A 3h00 du matin, après un bagel au beurre d'arachide, on saute dans le taxi pour l'aéroport et nous dirigeons vers l'aéronef pour le dégivrer. Ça augure bien, c'est resté froid et sec toute la nuit, il ne nous faudra que 20 minutes pour tout dégiver et nous retournons nous mettre au chaud dans le terminal. On en profite pour monter à la vigie et discuter avec le spécialiste d'information de vol, originaire de Montréal et se refaire un dernier briefing meteo avec Arctic Radio et Kangerlussuaq Met Office.
On retourne à l'avion et on met en route vers 04h45 après avoir enfilé nos gumby suits, Iqaluit Radio relaie notre clairance IFR obtenue du centre de Montréal et nous remontons la piste pour un décollage face à l'est. Quelques petits flocons de neige commencent a tomber et nous décollons finalement peu après 05h00 locales en route vers notre dernière escale en Amérique.
À 4600' on arrive on-top et on commence à voir les étoiles, on en profite pour faire notre dernier PIREP en Français avec un contrôleur du centre de Montréal assis dans une salle plus de 2 000 kilomètres au sud de notre position. Rapidement, nous quittons l'espace aérien contrôlé et ce sera de l'IFR en auto-info jusqu'à l'arrivée dans la TMA de Kangerlussuaq. Si tôt le matin, il n'y a pas grand monde sur 126,700 (fréquence Enroute au Canada), on monte jusqu'à 11 000 pieds que nous garderons comme altitude de croisière pour l'instant. Rapidement, nous sommes hors de portée du Centre de Montréal et on nous demande de contacter Edmonton Center passant 62 degrés ouest.
Alors que nous passons 62 degrés ouest, nous sommes gratifiés d'un superbe lever de soleil sur le détroit de Davis et nous contactons Edmonton Center qui bien que situé à plus de 3000km de là nous salue d'un chaleureux:
"N221TX, Edmonton Center, Welcome to the Arctic!"
Ça y est, on est presque arrivé, dans un peu plus d'une heure on devrait poser nos roues sur le terrain de Kangerlussuaq, Bluie West Eight, j'en profite pour prendre les dernières météos de Kangerlussuaq auprès d'Edmonton Center dans un premier temps et ensuite un dernier briefing auprès du météorologue de Kangerlussuaq (vive Iridium). La météo est un peu moins bonne que prévue (4000 pieds de plafond avec des passages à 2300 pieds) mais la visibilité est excellente hors des averses de neige. On poursuit confiants en voyant au loin se dessiner la côte du Groenland.
[Vidéo de l'arrivée à Kangerlussuaq]
Rapidement, on bascule avec Søndrestrøm Information puis Søndrestrøm Approach pour un vecteur vers l'approche finale LOC/DME 09 à Kangerlussuaq. On se rebrief convenablement la remise de gaz de cette piste à sens unique et on poursuit la descente, finalement à environ 3 nautiques finale on aperçoit la piste au fond du fjord et on est autorisé à l'atterrissage sur cette immense piste au milieu de nulle part.
L'aéroport vient tout juste d'ouvrir et c'est déjà l'heure de pointe à Kangerlussuaq. L'Airbus 330 arrivé il y a tout juste 15 minutes est déjà en train d'être préparé pour un charter à destination de la base américaine de Thule et les Dash de correspondance sont prêts à mettre en route.
Aussitôt garé, le camion de 100LL est déjà la pour faire le plein. C'est ma première escale a Kangerlussuaq et je suis bluffé, alors que les autres terrains du Groenland sont plutôt des STOLport (à l'exception de Thule, Narsassuaq et Kangerlussuaq), je me retrouve sur un aéroport actif qui n'a rien a envier aux autres aéroports de dégagement dans la région. Ce village-aéroport grouille d'activité et nous nous reposons une petite heure avant de reprendre la route pour Reyjkavik. Si nous nous débrouillons bien, on pourra se poser de jour a Reykjavik.
Dire qu'avant hier, il faisait 25 degrés à Dallas.
Un merci à tout ceux qui ont rendu ce petit voyage possible et particulièrement.
Christophe pour m'avoir fait confiance pour son nouvel avion
Baudouin et Emmanuel pour les combinaisons de survie
Ryad et Air France pour m'avoir fourni sans le savoir une des seules cartes enroute faisant figurer les altitudes de sécurité au Groenland.
Les membres du forum des Ailes Quebecoises pour leur accueil et leurs conseils.
Marc-Olivier
