Quand j'étais si petit que je ne savais pas encore que je ne comprenais rien en rien, je suis monté sur le toit de la grange de Grand-Papa Élie. Ça n'a pas été facile. Mais une échelle trainait là déjà installée. Des ouvriers réparaient la toiture pendant le jour. Ils avaient quitté pour la journée. J'ai grimpé. J'avais quoi ? Cinq ans ? Mon idée était de partir à sauter. J'avais essayé de la hauteur du sofa, mais sans bons résultats. C'est-à-dire que j'avais essayé de sauter du sofa, en me disant que j'allais ressauter AVANT de toucher le sol. Le plan était de ressauter comme ça dans les airs pour aller faire un tour dans le ciel, d'un rebond à l'autre. À cinq ans, on ne comprend pas qu'il faut un point d'appui pour sauter dans les airs. Mon désir étant d'aller très haut dans le ciel un bond n'attendant pas l'autre. Peine perdue à partir du sofa. Je pensais que c'était à cause que je n'avais pas eu le temps de ressauter avant d'atterrir au sol. Il fallait partir de plus haut, me suis-je dit.
Mon autre grand-papa, Nap, venait de mourir. Crise cardiaque fulgurante. C'était un homme bon, d'une extrême douceur.
- Ou il est, grand-papa chocolat ? ( Mon grand-papa Nap me donnait toujours du chocolat)
- Il est au ciel, Louis, il ne reviendra jamais
Bou, hou, hou, je pleurais.
Bande de connards, me suis-je dit. Je vais aller le retrouver, mon grand-papa à moi.
Alors je suis là, perché sur le pignon de la grange, à regarder le ciel et les nuages. Je ne regarde m^me pas en bas, parce que je suis certain que c'est vers le haut que je pars. Et les nuages me font terriblement souci. Il y en a beaucoup, et je devrai surement avoir besoin de traverser entre deux pour aller voir grand-papa chocolat. Et ils bougent vite, ces maudits nuages. Même à cinq ans, les dangers des conditions IMC me hantent.
Je trouve finalmenet un beau trou bleu entre les nuages. C'est là que je vais passer. Je vais sauter d'un rebond à l'autre vers le village, et , rendu sous le trou bleu, hop hop hop, jcontinuer à sauter verticalement pour passer au travers du trou entre les nuages. J'espère que les grands-papas ont du chocolat quand ils sont rendus au ciel.
Mais si je me fatiguais ? Si je n'avais pas l'énergie nécessaire ? J'allais tomber ? Au beau milieu du village ? Comment j'allais revenir à la ferme ? Et comment on fait pour faire un bond par en bas ?
Je me dis que vaut mieux prévoir un plan B. J'ai volé un drap dans le lit de monocle Estor. Il pue ce drap. Il pue mononcle Estor. J'attache les 4 coins après ma ceinture. Ça fera un bon parachute. Je suis assez vieux pour savoir que les capes de Superman ne sont pas vraies. Vaut mieux s'en tenir à des solutions éprouvées. Le drap attaché à la ceinture fera un excellent parachute. Et ça marche en titi les parachutes. J'ai vu ça fonctionner l'autre fois quand grand-papa nous a passé un film sur la guerre.
Si je suis trop fatigué pour continuer, je me laisse tomber tranquillement avec le parachute. Je l'ai vu dans le film, en parachute on tombe toujours proche d'une belle paysanne qui vous prend chez elle pour vous cacher des Allemands et vous soigner au lit. Elle vous amène des bols de soupe, vous borde tendrement, vous donne toujours plein de bisous quand on éteint la lumière. Un plan B parfait.
Je suis donc là, le nez dans les airs, sur le pignon de la grange, à imaginer le chemin qui allait m'amener voir grand-papa chocolat.
Un grand cri
- LOUIIIIIIIIIIIS, DESCENDS DE LÀ TOUT DE SUITE
Je n'ai jamais su qui avait crié comme ça, mais ça me décide sur-le-champ. C'est là ou jamais. Le trou dans les nuages est toujours là. Je saute, pour mieux rebondir vers le trou.
Je suis tombé. Direct dans le pare-brise du camion qui était stationné là en dessous. Passé au travers. Perdu connaissance. Je me réveille sur la table de cuisine. Mon oncle médecin en train de me claquer le visage. Il y a du sang partout sur lui. Finalment c'est sur moi, le sang. J'ai des morceaux de vitre partout.
- Mais pourquoi, pourquoi, tu as fait ça ? Me dit ma mère.
- Je voulais du chocolat...
Ils se regardent tous d'un air bizarre.
- T'es certain que tu ne voulais pas te suicider ?
- C'est quoi ça ?
- Bon, ok, je vais t'en donner, du chocolat, mais ne fait plus jamais ça, ok ?
Je ne réponds rien. S’ils pensent que je vais abandonner ma quête du ciel pour un peu de chocolat.
On me nettoie. Mon oncle Estor amène sa bouteille de fort. On m'en met sur mes plaies, pour me désinfecter, et aussi pour que ça fasse mal, question que je ne recommence pas.
On me met des plaster.
C'est long, j'ai juste envie dd"aller jouer.
Après des heures, on me laisse sortir. J'ai compris que les parachutes, ça ne marche pas bien. Il y a des accidents avec ça. Vaut mieux avoir les pieds libres pour ressauter avant de toucher le sol. Mais pas question d'essayer de si haut. Il faut que j'essaie de plus bas, mais que je développe mes réflexes pour ressauter très rapidement avant de toucher le sol.
Mais ça ne sera pas pour tout de suite. Ça sera pour quand je serai grand. Là ça fait beaucoup mal de partout. Je suis assis sur un rondin. Je pense à ça.
- Louis ?
C'est mon père. Il s'est assis à mes cotés.
- Allo Papa
- Louis, mon fils, je sais ce que tu as essayé. J'ai fait la même chose quand j'avais ton âge. Mais ça ne peut pas marcher. Il te faut un point d'appui. C'est comme ça la vie. Ça nous prend des affaires sur lesquels on peut s'appuyer, avoir confiance, se fier. Auquelles on peut croire. Tu ne peux pas monter en t'appuyant sur rien. Ca se peut que tu ne comprennes pas tout aujourd'hui, mais fait toi confiance, ça va venir. Un jour tu sauras que tu ne comprendras pas plein d'affaires. Pour le moment, évite de te faire confiance. Doute un peu de toi. OK mon gars ?
Je me suis collé sur lui. Il m'a mis le bras autour de moi. C'est bon l'amour d'un papa. On tient ça pour acquis. Puis un jour, 150 ans plus tard, il peut disparaitre. Plus jamais on ne sentira ce bien-être. Plus jamais on ne sera le petit gars de quelqu'un. On n'a pas encore inventé de parachute pour ces chutes là.
JC, toi qui rit de mes " Mille ans", sache que chez nous, on pense pour un minimum de cent cinquante ans. Un article d'hier sur mon papa. Il travaille cinquante heures par semaine. Il est tout jeune. 85 ans ce vendredi:
http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/ ... -de-10.php
J'ai peur de le perdre. Maintenant je sais que , parti, je ne pourrai plus jamais le retrouver, que ce sera pour toujours.
Quelqu'un aurait un parachute à me prêter ? Un modèle pour ce genre de chose....
Louis