La Bavarienne ( une histoire à Louis)
Posted: Mon 26 Jul, 2010 19:33
Les feuilles commencent à rougir. Il n’y a rien de plus apaisant que de voir les saisons revenir, après la petite panique de les voir me quitter. Année après année, l’automne, l’hiver, et les deux autres saisons, reviennent. Toujours le même cycle. Je me demande combien il m’en reste de ces cycles. C’est apaisant de voir une saison revenir parce qu’on se dit , à tort: « tiens, je suis bon pour un autre hiver ». Ou un autre printemps. Mais on se trompe, évidemment, parce’il n’y a aucune garantie que l’on va la terminer, cette nouvelle saison. On meurt autant à la fin qu’au beau milieu d’une saison. Je vais allé marcher le mont éléphant avec Papou. J'aime bien marcher le mont éléphant avec Papou. Moi qui n’ai pas d’enfant, j’adore emprunter ceux des autres. Pour faire semblant. Une couple d’heures. Faire semblant que moi aussi j’aurais pu dépasser mon cycle. Papou, il me demande toujours de lui expliquer des trucs, ou de lui conter des histoires: pourquoi ci, pourquoi pas ça. Comme si j'y connaissais quelque chose à ci ou ça, moi. C’est de son âge de toujours poser des questions. Mais c'est les histoires qu'il préfère, le Papou. Quand je m'y mets, à lui en conter une, il m'écoute avec ses grands yeux comme si ça l'intéressait vraiment. Alors, on marche dans le sentier, et moi, je conte.
- Louis, conte-moi une histoire...
- En redescendant, Papou, là, le sentier monte et je n’ai plus de souffle
- Pourquoi ?
- Parce que je suis vieux, Papou, et quand on est vieux, on a de moins en moins de souffle
- Pourquoi ?
Cibole, les enfants sont infatigables du « Pourquoi? ». Tu as beau leur répondre à tout, ils ont toujours un nouveau pourquoi à réquisitionner. C’est sans fin. On peut jamais gagner avec eux.
- Mais je n'en ai plus mon Papou, des histoires à conter. Je te les ai toutes racontées, et comme je n'en vis plus de nouvelles, ben j’en ai plus une maudite que tu n’as pas déjà entendu au moins trois fois...
- Invente-s-en une... ou bedon dis-moi pourquoi t'as des marques noires sur le cou pi la tête
- C'est le cancer Papou. Ils me l'ont brulé pour pas qu'il aille ailleurs. Quand j’étais marmot, les mamans ils nous faisaient griller au soleil comme des petits rosbifs sur la plage de Old Orchard, . Trente minutes d’un côté, puis trente minutes de l’autre. Ainsi de suite toute la journée. Mais ce n’était pas une bonne idée, parce qu’après, quand tu vieillis, t’as le cancer qui te pousse un peu partout sur la peau.
- Mamie elle est à l'hosto pour son cancer...
- Oui, j’ai entendu dire. Tu lui donneras un gros bisou la prochaine fois que tu iras aller la voir. Il n’y a rien de mieux que des gros bisous d’enfants pour aider les cancéreux.
- Pourquoi Mamie elle a le cancer ?
- Le cancer Papou, c'est parce que des instructions se sont effacées. Quand tu étais tout petit petit dans le ventre de ta maman, quand tu étais un tout petit petit Papou, il n'avait de toi qu'une seule petite cellule, une toute petite cellule toute seule, et dans cette petite cellule, un trésor inestimable: les instructions de comment faire le Papou que tu es devenu. Il y avait là toutes les instructions à donner aux autres cellules qui arriveraient pour te faire toi, mon Papou. Comment faire tes pieds, comment faire tes cheveux, comment faire pour qu'elles aillent former tes beaux yeux bleus. Tout ça, toutes ces instructions, étaient là dans une toute petite cellule. Et à chaque fois que cette cellule se dédoublait, les nouvelles partaient avec leurs instructions sous le bras de kessé qu'elles étaient supposées faire. Petit à petit, à force de se dédoubler des millions de fois, il y a eu assez de cellules pour donner toi, mon gros Papou d'amour
- Pi le cancer, lui ?
- Ben à force de se passer les instructions d'une cellule à l'autre, à mesure que tu vas vieillir, un moment donné il va avoir une cellule qui va avoir des instructions maganées. Ses instructions vont être un peu floues sur le papier, il va manquer des mots, l'encre va être comme un peu effacée. Ou pire, il va y avoir des lignes d’instructions mélangées avec d’autres. Cette cellule, au lieu d'aller faire une cellule de ce qu'elle est supposée faire, elle va partir faire autre chose, comme un orteil, mais au lieu de te la faire aux pieds auz cotés de tes dix autres, elle va aller te la faire pousser dans le ventre. Pi c’est vraiment pas pratique d’avoir un orteil dans le ventre: ça donne des coliques. Imagine si elle te pique, cet orteil-dans-le-ventre, le trouble que ça serait pour te la gratter !! Bon, il y a bien des protéines gendarmes qui vérifient que les instructions sont bien écrites, on les appelle les protéines immunitaires. Elles checkent les instructions des cellules: « PAPIER !!» Qu’elles leur disent. «MONTREZ-NOUS VOS PAPIERS qu’on vérifie vos instructions» . Si les papiers ne sont pas en règle, hop, elles envoient les cellules maganées dans un camp d’extermination. Mais quand tu vieillis, ou à cause de la fumée de cigarette, ou encore des produits chimiques ou du soleil, il y a de plus en plus de cellules avec des faux papiers. Les protéines gendarmes immunitaires, ils n’arrivent plus à contrôler les papiers de tout ce beau monde. Les cellules pas réglo, elles partent quelque part dans ton corps et elles se rassemblent en tas contre les gendarmes: elles se collent ensemble. On appelle ça une tumeur. Une tumeur cancéreuse. Et là, mon pauvre papou, la fête commence: elles se multiplient à une vitesse folle. Pendant qu’elles grossissent leurs tumeurs, elles laissent échapper des cellules folles dans ton sang pour aller empoissonner le restant de ton corps. Les gendarmes immunitaires, ils sont débordés. Ils travaillent en heures sup, 24 heures par jour, mais ils n’arrivent plus à rien contrôler. La tumeur est plus forte qu’eux. Ils bossent comme des malades, mais ils perdent du terrain. Trop de drag. ‘Behind the power curve’. Il n’y a plus rien qui empêchent les cellules folles d’aller te faire pousser à la mauvaise place de quoi qui n’a pas rap .
- Maman, l’autre fois, quand Papa est revenu tard dans la nuit, elle était furieuse. Elle cassait des assiettes et elle criait à Papa qu’il avait un zizi à la place du cerveau. C'est à cause du cancer que Papa il a un zizi à la place du cerveau?
- Oui oui.... heu... non non.... ça c’est un autre genre de cancer...
- Mamie c'est le cancer du poumon. Maman elle dit qu'elle n’aurait pas du fumer quand elle était jeune...
- Ta mamie elle a surement des cellules de cheveux qui sont allées se faire pousser dans ses poumons. Une crisse de merde ça, mon papou, des cheveux dans les poumons..
- Je n’aime pas le cancer. Conte-moi une autre histoire...
- Bon, m'a te reconter l'histoire de quand que j'ai planté en avion cet été. Même si je te l’ai déjà contée dix fois. OK ?
- Oui....
- C'était merveilleux, mon Papou, une ile déserte, une ile loin loin, tout en sable, à 300 milles du Groenland , à 4 kilomètres de l'Islande, une île qui n’avait vu avant moi que de grands Vikings hauts comme ça.....
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Ça fesse en tabarnac! J'ai comme l'impression d'être dans une machine à laver au cycle SPIN. Ma tête veut s'arracher de mes épaules. Je tiens le throttle plein moteur et je tire comme un malade sur le manche. Je remonte peut-être à une vingtaine de pieds, mais là ça repart par en bas en direction de la prochaine dune. BADANG ! Le train d'atterrissage plie, le sable revole, je reçois mon bagage derrière la tête, des machins me giflent le visage, probablement mon GPS portatif, ou bedon mon satellite, aller donc savoir quand ça vous frappe de partout. Pi kessé ça peut ben crisser de savoir si c'est le GPS ou le satellite qui vient de me cogner le crâne comme s’ils voulaient rentrer dans le dedans de moi. Pi j’ai assez de gadgets sur mon tableau de bord pour tuer une demi-douzaine de pilotes. C’est reparti dans les airs une trentaine de pieds. Jamais je ne croirai que ça ne va pas voler maintenant. Un coup d’oeil sur le badin: 65 noeuds cibole, avec plein volet, comment ça se fait que ça ne vole pas. Hostie, ça retombe ! Ca va encore fesser câlisse. BADANG ! La porte s'ouvre sous le choc. Ça veut dire que la structure s'est déformée. Le sable propulsé par les roues rentre à pleine pelle. J'en ai partout. C’est dégueulasse du sable plein la bouche quand tu hyperventiles. J’en ai plein les yeux aussi, et pourtant, je vois très bien. Hop! C'est reparti vers en haut. J'ai mal de partout. Mes écouteurs se sont arrachés de mes oreilles. Le bruit du moteur est infernal. Bon, nous revoilà à trente pieds dans les airs, peut-être que cette fois-ci sera la bonne et que l'Hélio décidera enfin de voler. Mais non, ça semble vouloir retomber. J’ai le nez trop pointé vers le ciel. Les volets, les becs de bord d’attaque, l’angle de mes ailes, tout ça provoque trop de trainées. Le moteur n’arrive pas à prendre le dessus de tout ce drag. Je suis ‘behind the power curve’. Ca va retomber c’est certain. Pas moyen de repousser le manche pour en sortir, je frapperais les dunes de sable encore plus fort. Si je pouvais juste comprendre kessé je fais icitte dans ces dunes de sable. J'ai pourtant regardé en atterrissant, j'avais au moins dix milles de belle plage platte qui longeait ces grosses dunes. Comment j’ai pu me retrouver dans ces dunes en redécollant. Pi surtout comment ça se fait qu'il veut pas voler, cet enfouèré d'avion. 70 mille à l'heure! 70 mille a l'heure et voilà qu'il retombe le tabernacle. Il devrait voler, sacrament, à cette vitesse. Je pense avoir le vent de dos maintenant, mais 70 milles à l'heure sur le badin, c'est quand même soixante milles à l'heure, clisse ! Fuck, on tombe vers la prochaine dune de sable. BADAAAANG ! Le bagage me frappe par en arrière. J'écrase dans le siège. Je sens ma colonne éfouèrer. Ayoye la vertèbre. Quand le siège va céder, ça ne sera pas de la tarte. Les Petits Pères, câlisse, z'avaient refusé de me vendre ce siège qu'ils ont développé pour leurs Hélio. Un siège qui se déforme pour éviter la compression de la colonne et te sauver de la paraplégie lors d'un écrasement avec chocs verticaux. Jusqu'à 45 G qu'il permet d'absorber ce siège. Des pères missionnaires qui amènent des bibles dans les villages les plus reculés de la planète, mais qui n'ont même pas la décence de me vendre un siège qui me sauverait la vie. Ils les gardent pour eux leurs clisse de siège. Amen. C'est ça qu'il y a avec les religieux professionnels, ils s'enfargent dans leurs rites et perdent de vue la finalité de leurs missions. Crisse de siège. Avec le mien, quand je vais toucher les 12 G, ma colonne va se désagréger. Ça sera le fauteuil roulant, l'incontinence, le massage rectal aux trois jours pour aider les intestins à se souvenir qu'il faut qu'ils se mettent en mouvement si on veut évacuer tout ça. C'est une garde malade qui m'a expliqué ça. C'est temps-ci, elle leur fait ça aux paraplégiques de la moto. Sinon les boyaux se remplissent de merde et tu meurs empoisonné de ne pas avoir pu évacuer ce que tu as bouffé. Elle m'a conté ça deux jours avant que je parte. Elle devait savoir ce qui allait m'arriver. Les infirmières savent toujours quelle merde va vous frapper question santé. D'ailleurs, c'est elle qui m'avait dit pour ma grand-maman: "Louis, ne parts pas tout de suite en week-end, pour ta grand-maman, ce sera pour samedi vers midi". Les infirmières elles savent d'avance. Grand-maman m’a quitté en me plantant ses ongles dans la peau de mon avant-bras à midi pile. Faut dire que ce n’était pas si difficile à deviner, il parait qu’elle avait une prescription de morphine à dose de cheval pour cette heure-là. Quand même, les infirmières, elles savent d’avance. Pas comme les médecins qui eux ne savent qu'après. J'ai hâte de voir qu'est-ce qu'ils vont faire de moi, les docteurs islandais. Si jamais il reste de quoi à rapiécer. Bon, pendant que je discours sur mon état futur de santé, vlà qu'on est en train de piquer du nez nous autres. Ça ne pourra pas résister ce truc. Une aile va se détacher, le train va céder, le moteur va s'arracher. On ne peut pas prendre des chocs comme ça sans que ça pète de quelques parts. Pour moi aussi d'ailleurs. BADABANG ! .... Ouche.... ma colonne câlisse. Pif paf, encore un paquet de trucs qui me tombe dessus comme si on veut me boxer de partout.
Tiens, tous ces coups de partout, ça me rappelle la Bavarienne. Oui, oui, je sais, je devrais dire la Bavaroise, mais voilà, le peu de fois où je repense à elle, c'est "la Bavarienne" qui me vient à l'esprit. C'était après le show de Munich: le show de sport. Dans ce temps-là, j'y allais deux fois par année. Ça doit bien faire trente ans minimum. Tous les professionnels des affaires du sport se retrouvaient là. Cinq jours. Le show était terminé. Je voulais crisser le camp de là, question de bouffer autre chose que de la choucroute et des saucisses. Il n’y a que ça à bouffer en Bavière. Même pour déjeuner, saucisses et choucroute. De la choucroute à la bière, qu'on bouffe en buvant des gallons de bière. J'étais tanné, je voulais partir. Tous les avions étaient réservés pour trois jours. Je n’étais pas tout seul à vouloir foutre le camp de là. C'est incroyable les shows, vous y passez cinq jours enfermés avec plein de monde qui travaille dans le même domaine que vous, dans un genre d'atmosphère un peu surexcité, vous ne parlez que du show, de la business, tel fournisseur qui est en train de sortir un tissu miracle, ce gros détaillant qui est sur le bord de la faillite et qui signe donc des commandes partout, Untel qui a quitté X pour aller travailler chez Y. Cinq jours en vase clos. On finit vite par croire qu'il n'y a pas grand-chose dans le monde en dehors de ces murs qui vous enferment. On finit par croire que la vie, l'univers entier, c'est ces drôles de kiosques peuplés de vendeurs et d'acheteurs en cravate, ces pin-up en bikinis et talons hauts avec des pancartes qui déambulent dans les allées pour vous inciter à visiter tel kiosque. Je n’ai jamais compris pourquoi une fille en bikini doit porter des talons hauts. Des sandales, oui, des flip-flop entre le gros orteil, oui. Mais des talons hauts ? À Old Orchard, quand j’étais petit, il y a avait plein de filles en bikini sur la plage. Mais je n’en ai jamais vu une maudite en talons hauts. J’imagine que c’est assez difficile comme ça de marcher dans le sable qu’il y en a jamais eu une capable de le faire avec des talons hauts.
Après ces cinq jours, en moins d’une heure, tous les kiosques sont défaits. Derrière ces paravents colorés, vous retrouvez le drabe béton. Votre univers s'écroule. Il ne reste plus rien de ce que vous pensiez être le monde, l'unique monde au monde. Vous êtes d'un coup confrontés à la petitesse de votre univers, à l'inutilité de votre mission professionnelle sur terre. Dans quelques heures, un autre salon prendra la place. Un salon de jouets, ou de matériel de cuisine, ou d'ordinateurs, n'importe, mais avec des vendeurs différends même si coulés du même moule, des acheteurs presque identiques qu'aux autres, qui diront du même ton de confidence que Untel a eu une crise cardiaque et a été remplacé par le petit jeune qui travaillait pour la compagnie chose, le compétiteur. Il n'y aura que les filles en bikini qui seront les même, car il est de bon ton d'embaucher du local quand il s'agit de pin-up en bikini et talons hauts. Ainsi, ça leur assure un emploi à l'année. Imaginez la commotion s’il fallait prendre des filles du staff et leur demander de venir faire la pin-up en bikini! Pi c'est pas certain pantoute qu'on voudrait avoir la téléphoniste comme fille en bikini depuis qu'elle a pris dix kilos. Non-Monsieur, il y a des filles pour ces choses-là. En plus, ça leur donne la chance de s'habituer à la froidure de la tenue pour éviter les rhumes et les grippes. Imaginez une pin-up en bikini et talons hauts qui, pognée d'un gros rhume, passeraient son temps à se moucher en chambranlant sur ses hauts talons. Pi ousse que tu voudrais qu'elle garde sa réserve de Kleenex la pin-up en bikini? Dans sa culotte ? Dans sa brassière comme grand-maman ? Ça ne ferait pas très chic bon genre. Alors, elles ont cet emploi à l'année et n'ont même pas besoin de changer de bikini d'une exposition à l'autre, car il est rare qu'un vendeur de matériel de sport se retrouve la semaine suivante à vendre des ordinateurs. Et même si c'était le cas, il est fort peu probable qu'il s'aperçoive que le bikini est le même. L'acheteur est ainsi fait que ce qu'il remarque du bikini n'est pas vraiment le tissu lui-même. On ne peut pas tous être fils et petit-fils de fabricant de lingerie féminine pour s'intéresser à l'imprimé du tissu d'une pin-up en bikini et talons hauts . Mais pourquoi je pense à ces filles en bikinis qui doivent maintenant toutes être grand-maman? Revenons à moi, aucun siège d'avion de disponible pour se sauver de Munich. Restait le train, avec Rome comme seule destination où il restait de la place. En deuxième classe, mais avec couchettes. Deux, superposées. J'étais au wagon-restaurant: devant moi, une fille vient s'asseoir. Une colosse, avec les épaules larges comme ça. Des mains grosses comme les miennes. Elle tenait un sac de sport et pourtant était habillée de ce costume bavarien que les grosses femmes portent toutes à Munich, comme si elles étaient figurantes dans le film "La mélodie du bonheur". Un genre de grande jupe pour le bas, portée pour le haut avec une veste pas de manche qui est découpée sous les seins qui eux sont retenus par une blouse blanche. La fille s'assoit juste devant moi. Elle a les cheveux en boudins, quand elle se déplace, tout le wagon tremble. Ses seins sont énormes, la blouse les retient, mais il y a un bouton là, seul juste en avant, qui force à tout rompre sous la tension. Moi je fixe le bouton, j'essaie de voir comment il peut tenir sous pareille pression. Ça ne se peut pas, ce n’est pas chrétien de faire ça à du textile. Ça aurait pris de la grosse sangle, une camisole de force, pas une blouse presque en dentelles retenue par un simple bouton. C'était dans les années où je développais un sac à dos, la résistance des fils à coudre m'intéressait au plus haut point, et le fil à coudre qu'on avait pris pour ce bouton était d'une résistance incompréhensible. On aurait dû lui décerner le prix Nobel du bouton à quatre trous à ce fil. On voyait bien que le tissu voulait se rompre. Et pourtant, ça tenait. De temps à autre, la Bavarienne prenait un grand respire, moi je me disais « Voilà, c'est là que ça va céder, ça va péter, le bouton va être propulsé avec une force inouïe, si je ne fais pas gaffe et que je le reçois dans le front, ça sera la mort instantanée ». Mais non, je fixais incrédule ce pauvre bouton qui résistait à cette masse de chair. On est dans les années 80, le Kevlar vient d'être commercialisé. Il y a même l’autre français qui va l'utiliser pour faire le toit du stade olympique de Montréal. Je n'en ai jamais vu de mes yeux vus. Ce bouton doit sûrement être cousu avec un fil de cette nouvelle fibre encore plus résistante que l'acier. Ca ne se peut pas résister ainsi. La fille prend des respires de plus en plus grands. Ça déborde de partout. Un gars qui tombe dans cette craque est pas prêt de se relever, c'est certain. Encore un respire, le bouton tiendra-t-il ? C'est ainsi qu'en fixant le fil à coudre d'un bouton à quatre trous, je donnai l’impression à cette mastodonte que je m’intéressais au plus haut point à son décolleté. Alors que moi, vous me connaissez, ma fixation, mon monoïdéisme, n'était que textilien et professionnel. Alors qu'elle respirait de plus en plus souvent, et de plus en plus bruyamment, je levai les yeux pour comprendre le pourquoi de ses soufflements de juments. Elle me souriait avec un air entendu alors que je n'entendais de rien du tout moi!
- TICKET (qu'elle me lance la mastodonte) PAPIER !
Je lui montre mon ticket. Je ne suis pas du genre à m'obstiner avec une digne représentante de la Gestapo moi. Elle regarde mon ticket et se lève en me faisant signe de la suivre. Fuck, ça ne se peut pas. La guerre est finie depuis trente ans, mais je viens d'être réquisitionné par l'armée allemande. J'ai envie de m'excuser pour mon intérêt sur son décolleté, lui expliquer que c'était uniquement professionnel, que c'est de famille et de père en fils, que je ne veux pas vraiment de ses énormes chairs. Mais la grosse ne semble pas très intéressée par une discussion orale.
- SHNEIL (qu'elle me pousse dans le dos pour que je sorte du wagon-restaurant vers mon wagon couchette)
Il n’y a rien à faire, j'allais passer à la moulinette c'est certain. Je marche dans le corridor du wagon comme dans un film français sur la résistance. Dans les films français, il y a toujours un résistant. Toujours, toujours, le résistant français marche dans un corridor de train avec la Gestapo qui lui coure après en ouvrant les portes d'un wagon à l'autre. Vous allez voir ça dans tous les films français d’après-guerre. Même que dans Amélie Poulain, ils en ont mis un, en arrière, un résistant français. La Gestapo pi le résistant, ça va ensemble dans le cinéma français. Mais moi, la Gestapo, je l'ai déjà collée au cul. Je pourrais bien tirer la sonnette d'alarme, sauter en bas du train, partir à courir, mais on a beau être en 1980, la Gestapo a encore ses antennes partout en Allemagne: je n’arriverais surement pas à me sauver, la grosse appellerait son papa. Sa gang de nazis me retrouverait à coup sûr. Imaginez le mauvais quart d'heure qu'il me ferait passer son papa. Il m'arracherait les dents une par une, avec une pince grosse comme ça, en me faisant avouer mille fois la même affaire. On ne se sauve pas de la fille d'un nazi sans en subir de terribles conséquences. Il y a même eu un film là dessus avec Dustin Hoffman du temps qu’il était jeune. "Marathon Man", avec un nazi qui lui arrachait toutes les dents. Il est peut-être arrivé le temps qu'on me mette à l'épreuve: les jolies, les belles, les mignonnes, c'est du facile ça. Ça se fait tout seul. L'envie vient en baisant. Mais une grosse comme celle-là, les cheveux en boudin, avec des épaules plus larges que les miennes, ça, ça prouve quelque chose de sa virilité. J'ai maintenant presque trente ans, le Bon Dieu a peut-être trouvé qu'il était temps que je mette réellement de mon moi-même. «Fini les mignonnes, qu'il me dit, ça fait dix ans que je t'en mets sous les pattes, et des plus jolies, sans que tu te décides à prendre famille, et bien maintenant, mon bon Louis, voilà par où tu devras passer. Ça va peut-être te mettre un peu de plomb dans la cervelle. Après celle -ci, la prochaine mignonne, tu vas peut-être y penser à deux fois avant de la jeter après t'en être régalée. Tu me feras plus attendre longtemps avant de passer devant moi pour tes voeux.»
Elle avait repéré le numéro de ma couchette en checkant mon ticket. Elle me poussa sans ménagement dans ma cellule. Je n’ai rien vu, mais je savais que toute résistance serait inutile. Pif, paf, bang, j'étais couché sur le dos dans ma couchette, tout nu, avec l'entraîneuse sur moi. Parce que oui c'était une entraîneuse de l'équipe est-allemande de lancer du poids. Elle était massive et dure comme de la roche. Elle avait même fait les olympiques de Montréal quatre ans avant. Un genre de gorille tout en muscle. Elle s'activait sur mon pauvre corps, et à chaque fois que le genou lui glissait à côté de la couchette, elle tombait sur moi. Pif, paf, je recevais un morceau d'elle dans les cotes, ou sur une joue, ou un coude dans le plexus solaire. Je n’avais pas le poids que j'ai maintenant. Je pesais 165 livres mouillé. J'avais cette masse de muscle sur moi qui s'était donné comme mission de briser mon petit corps. Si je survivais, je promis à la Sainte Vierge, qui n'était jamais passée par la couchette (s’il faut en croire les Saints-Evangiles) et donc qui aurait un peu de sympathie pour moi, que plus jamais je ne fixerais de décolleté de ma vie. PIF PAF OUILLE !! Les yeux fermés, la grosse dure s'était mise à s'agiter en me frappant de coups de poing qu'elle croyait gentils. La sueur perlait sur son front. Je me sentais comme une lavette. Quand je recevais un de ses seins au visage, c'était comme si on m'avait kicker un ballon de foot en pleine face. C'était fini pour moi les gros seins, je l'avais toujours soupçonné, mais bon, quand tous les copains font des HAAAA et des HIIIII sur la grosseur des boules, tu te poses pas de question sur ton toi-même et tu penses que toi aussi tu tripes grosses boules. Mais là je savais que pour moi, les grosses boules, c'était terminé. Plus jamais. Si je sortais vivant de cette cellule de torture, j'allais directement à Montréal casser avec ma blonde de l'époque qui avait des boules à la Rachel Welsh. Six ans ensemble, six ans de grosses boules que je n’avais jamais su faire quoi avec. Ça suffisait. Qu'on me laisse sortir d'ici et je promets que maintenant il n'y aura que de jolis petits seins dans ma vie. La Bavarienne s'agite de plus en plus comme si elle fait son dernier sprint aux olympiques. Elle va me briser c'est certain. Elle va me pogner par le zizi et me faire tournoyer tout nu autour de sa tête avant de me lancer par la fenêtre du train en marche. je suis mort. Je n'ai plus aucun espoir. Pif ! Paf !

L'odeur. L'odeur arriva d'un coup. Avec elle une douche froide. Ma ferry tank qui était derrière moi venait de s'éventrer. Les gallons d'essence qu'elle contenait encore venaient d'asperger tout l'intérieur de la cabine. Une maudite Ferry Tanl en aluminium au lieu d’une bonne Turtlepack flexible. L’essence partout. Ça devenait sérieux. Il n'était plus question de rigoler en pensant à la Bavarienne. Si FXOH ne se décidait pas de voler, ou de rendre l'âme drette là, on allait y passer tous les deux. Ce n'était vraiment plus drôle cette affaire. Ça ne prend pas grand-chose quand l'habitacle n'est que vapeur d'essence. Une miniétincelle, un back-fire, une pensée cochonne et BOUM !, on avait les souvenirs qui s'envolaient en fumée. Était-il déjà trop tard pour fermer mon "master" ? J'ai toujours cru que Jean-Claude avait explosé après son écrasement parce qu'en fermant le "master" il aurait provoqué cette étincelle qui les aurait enflammés. Fuck, l'hélio piquait du nez vers une grosse dune. J'avais déjà les épaules en compote des chocs sur la ceinture de sécurité et voilà qu'on s'en allait en prendre un autre qui ne serait pas de la tarte. «Behind the power curve», je retombais !! BADABANG ! Le sable revole dans le windshield, une roue apparaît dans ma fenêtre de droite, on décélère, ça tourne à gauche. Le train gauche a cédé. L'aile a piqué dans le sable. L'hélice fait revoler une colonne de sable qui monte d'aussi haut que je peux voir. Je suis abasourdi par la beauté du mouvement du sable qui retombe. Comme un rideau semi-transparent avec le plus beau paysage derrière. Le moteur arrête. Ça ne bouge plus. J'ai mal partout. Mixture Pull, Master Off (en se croisant les doigts de pas sauter), Fuel Selector Off, Magnéto off. Je défais ma ceinture, la porte ne s'ouvre pas: je vois bien que c'est le pneu qui est rendu à sa hauteur qui l'empêche d'ouvrir. Je saute à l'arrière et je sors par la porte à bagage. Je cours. Je cours pour ma vie. Je cours comme dans un film au ralenti parce que je ne suis pas très certain d'avoir encore droit à un bout de vie. Dans mes oreilles, la musique de The Chariots Of Fire parce qu'il y a une scène là-dedans ousse que le monde court au ralenti sur une plage. Je regarde derrière, convaincu qu'une flamme va partir de l'avion pour suivre ma trace en me rattrapant et en mettant le feu à mes vêtements trempés d'essence. Je cours en regardant par en arrière parce que je pense me sauver de la mort. J'enlève mon T-shirt. Je cours. J'enlève mes souliers. Je cours. J'enlève mes pantalons en sautillant sur une patte et l'autre. J'enlève même mes bobettes parce que ça serait vraiment con de mourir immolé de là. Je cours nu, au ralenti, sur une plage d’Islande. Je cours les bras en croix pour que l'essence s'évapore. Je suis vivant. Nu, ridicule, perdu sur une île de l'Islande qui ressemble au Sahara, mais je suis vivant !
Vlan ! à courir en regardant en arrière, je tombe d'en bas d'une dune. Je m'étale de tout mon long dans le sable. Je suis assez loin de l'hélio que je m'attends à voir exploser à tout moment. Je m'assoie les foufounes dans le sable. J'ai encore mon chapeau ! Je regarde le paysage magnifique, le sable, ces dunes que je comprends pas encore comment ça se fait que je suis dedans, les montagnes au loin, la mer. Dieu que la vie peut être belle des fois pour les yeux. Le vent souffle, mais le sable est chaud du soleil. Je m'enterre dedans en rigolant. Il y a deux types que j'ai connus qui sont morts vingt minutes après leur écrasement: les lésions internes, ces hémorragies qui te font perdre ton sang par en dedans. Il n'y a rien à faire contre ça. Une vingtaine de minutes après ton écrasement, alors que tu ne sens rien à cause de l'adrénaline. Tu meurs au bout de ton sang sans en voir couler une goutte. Je prends note de l'heure. Il faut maintenant que je décide à quoi passer ces vingt dernières minutes qui me restent à vivre. Pour la branlette, on repassera. Remarquez que je peux très bien les passer à ne rien faire. Il y a des gens comme ça qui passent leurs vies à ne rien faire. Ils ne risquent pas de se crasher sur une île d'Islande. Pourquoi ne passerais-je pas mes vingt dernières minutes à ne rien faire moi ? Ça peut être agréable vingt minutes à ne rien faire avec du sable dans la craque des foufounes. Ce n’est pas tous les jours qu'on peut passer vingt minutes tout nu enterré dans le sable sur une île déserte d'Islande après s'être crashé en avion. Le vent veut m'enlever mon chapeau. Gentil vent. Tout ce temps j’ai gardé mon chapeau ! Toujours enterré dans le sable, je me l'enfonce bien sur la tête. Si jamais je meurs d'une hémorragie interne, s'il vous plaît, prenez une photo de la face du coco qui va me trouver dans cette position, nu avec un chapeau! Je ne voudrais pas manquer ça pour tout l'or du monde!
J'ai mon satellite à la main. Demandez-moi pas comment ça se fait que j'aie encore mon chapeau et mon satellite à la main, mais ils sont là. Faudrait bien que j'appelle quelqu'un. Du coup que je crèverais ici ça va prendre un clisse de boutte avant que quelqu'un me retrouve. Tantôt je vais appeler Gaston pour l'avertir que j'ai crashé et ousse que je suis. Mais pas tout de suite. Là je veux parler à quelqu'un qui me demandera pas ousse que je suis pi si je vais bien. Là je vais appeler Albert le Belge. Il est belge et d'un désagréable comme ça ne se peut pas. C'est pour ça qu'il ne peut pas avoir d'amis par chez eux. Il est obligé de venir jusqu'au Canada pour s'en trouver. Ils fument sans ménagement pour son entourage. Et n'importe quoi d'ailleurs il le fait sans ménagement pour son entourage. Snob, riche aussi. Il y a deux ans il a perdu son petit fils de deux ans par le cancer. Pi l'an dernier ce fut lui qui pogna un cancer de la gorge. Guéri ici à Montréal vu que les médecins de chez eux étaient tous des tarés s’il faut le croire. Dure épreuve. Il est devenu presque endurable. Presque fin. Mais après un ou deux mois, une fois guéri de son cancer, c'est revenu comme avant. Pas le cancer, mais le désagréable. Quand il vient à Montréal, je me cache pour ne pas le voir. Couché dans le sable, nu, avec mon chapeau, je pogne mon satellite et j'appelle Albert le Belge Désagréable. On était maintenant tous les deux des rescapés non ?
- Ça va Albert ? ( je lui ai dit sans lui dire que j'étais nu dans le sable sur une île déserte)
- Non, les docteurs viennent de me trouver un cancer aux poumons
- Fuck, vas-tu faire de la chimio ?
- Non, c’est trop avancé qu’ils disent. Même avec une dose de cheval, ils n’en arriveraient pas à bout de la tumeur. Une histoire de «Behind the power curve».
- Ne peuvent pas t’opérer ?
- J'en ai des deux côtés. Ils ne peuvent pas m'enlever les deux poumons. J’ai plein de métastases partout. Je vais mourir Louis
- .....
- Louis ?
- Oui Albert...
- J'ai peur Louis
- Désolé Albert....
Je raccroche pour toujours sur Albert. Regarde ma montre Emergency Brietling: ça fait maintenant plus de vingt minutes que j'ai crashé. Je ne vais pas mourir d'une vulgaire hémorragie interne. L'avenir me sera un peu plus banale: une crise de coeur ou un cancer. Je vais quand même attendre encore un peu avant d'appeler Gaston. Pour le plaisir d'être ici, seul.
Allongé tout nu à moitié enterré dans le sable, avec un chapeau, question de décence publique, ma bébelle volante crashée pas trop loin, les côtes en compotes, mais plus de cancer connu au cou, je viens de perdre quarante ans d'un coup.
Bordel que je fais un beau voyage...
Louis

- Louis, conte-moi une histoire...
- En redescendant, Papou, là, le sentier monte et je n’ai plus de souffle
- Pourquoi ?
- Parce que je suis vieux, Papou, et quand on est vieux, on a de moins en moins de souffle
- Pourquoi ?
Cibole, les enfants sont infatigables du « Pourquoi? ». Tu as beau leur répondre à tout, ils ont toujours un nouveau pourquoi à réquisitionner. C’est sans fin. On peut jamais gagner avec eux.
- Mais je n'en ai plus mon Papou, des histoires à conter. Je te les ai toutes racontées, et comme je n'en vis plus de nouvelles, ben j’en ai plus une maudite que tu n’as pas déjà entendu au moins trois fois...
- Invente-s-en une... ou bedon dis-moi pourquoi t'as des marques noires sur le cou pi la tête
- C'est le cancer Papou. Ils me l'ont brulé pour pas qu'il aille ailleurs. Quand j’étais marmot, les mamans ils nous faisaient griller au soleil comme des petits rosbifs sur la plage de Old Orchard, . Trente minutes d’un côté, puis trente minutes de l’autre. Ainsi de suite toute la journée. Mais ce n’était pas une bonne idée, parce qu’après, quand tu vieillis, t’as le cancer qui te pousse un peu partout sur la peau.
- Mamie elle est à l'hosto pour son cancer...
- Oui, j’ai entendu dire. Tu lui donneras un gros bisou la prochaine fois que tu iras aller la voir. Il n’y a rien de mieux que des gros bisous d’enfants pour aider les cancéreux.
- Pourquoi Mamie elle a le cancer ?
- Le cancer Papou, c'est parce que des instructions se sont effacées. Quand tu étais tout petit petit dans le ventre de ta maman, quand tu étais un tout petit petit Papou, il n'avait de toi qu'une seule petite cellule, une toute petite cellule toute seule, et dans cette petite cellule, un trésor inestimable: les instructions de comment faire le Papou que tu es devenu. Il y avait là toutes les instructions à donner aux autres cellules qui arriveraient pour te faire toi, mon Papou. Comment faire tes pieds, comment faire tes cheveux, comment faire pour qu'elles aillent former tes beaux yeux bleus. Tout ça, toutes ces instructions, étaient là dans une toute petite cellule. Et à chaque fois que cette cellule se dédoublait, les nouvelles partaient avec leurs instructions sous le bras de kessé qu'elles étaient supposées faire. Petit à petit, à force de se dédoubler des millions de fois, il y a eu assez de cellules pour donner toi, mon gros Papou d'amour
- Pi le cancer, lui ?
- Ben à force de se passer les instructions d'une cellule à l'autre, à mesure que tu vas vieillir, un moment donné il va avoir une cellule qui va avoir des instructions maganées. Ses instructions vont être un peu floues sur le papier, il va manquer des mots, l'encre va être comme un peu effacée. Ou pire, il va y avoir des lignes d’instructions mélangées avec d’autres. Cette cellule, au lieu d'aller faire une cellule de ce qu'elle est supposée faire, elle va partir faire autre chose, comme un orteil, mais au lieu de te la faire aux pieds auz cotés de tes dix autres, elle va aller te la faire pousser dans le ventre. Pi c’est vraiment pas pratique d’avoir un orteil dans le ventre: ça donne des coliques. Imagine si elle te pique, cet orteil-dans-le-ventre, le trouble que ça serait pour te la gratter !! Bon, il y a bien des protéines gendarmes qui vérifient que les instructions sont bien écrites, on les appelle les protéines immunitaires. Elles checkent les instructions des cellules: « PAPIER !!» Qu’elles leur disent. «MONTREZ-NOUS VOS PAPIERS qu’on vérifie vos instructions» . Si les papiers ne sont pas en règle, hop, elles envoient les cellules maganées dans un camp d’extermination. Mais quand tu vieillis, ou à cause de la fumée de cigarette, ou encore des produits chimiques ou du soleil, il y a de plus en plus de cellules avec des faux papiers. Les protéines gendarmes immunitaires, ils n’arrivent plus à contrôler les papiers de tout ce beau monde. Les cellules pas réglo, elles partent quelque part dans ton corps et elles se rassemblent en tas contre les gendarmes: elles se collent ensemble. On appelle ça une tumeur. Une tumeur cancéreuse. Et là, mon pauvre papou, la fête commence: elles se multiplient à une vitesse folle. Pendant qu’elles grossissent leurs tumeurs, elles laissent échapper des cellules folles dans ton sang pour aller empoissonner le restant de ton corps. Les gendarmes immunitaires, ils sont débordés. Ils travaillent en heures sup, 24 heures par jour, mais ils n’arrivent plus à rien contrôler. La tumeur est plus forte qu’eux. Ils bossent comme des malades, mais ils perdent du terrain. Trop de drag. ‘Behind the power curve’. Il n’y a plus rien qui empêchent les cellules folles d’aller te faire pousser à la mauvaise place de quoi qui n’a pas rap .
- Maman, l’autre fois, quand Papa est revenu tard dans la nuit, elle était furieuse. Elle cassait des assiettes et elle criait à Papa qu’il avait un zizi à la place du cerveau. C'est à cause du cancer que Papa il a un zizi à la place du cerveau?
- Oui oui.... heu... non non.... ça c’est un autre genre de cancer...
- Mamie c'est le cancer du poumon. Maman elle dit qu'elle n’aurait pas du fumer quand elle était jeune...
- Ta mamie elle a surement des cellules de cheveux qui sont allées se faire pousser dans ses poumons. Une crisse de merde ça, mon papou, des cheveux dans les poumons..
- Je n’aime pas le cancer. Conte-moi une autre histoire...
- Bon, m'a te reconter l'histoire de quand que j'ai planté en avion cet été. Même si je te l’ai déjà contée dix fois. OK ?
- Oui....
- C'était merveilleux, mon Papou, une ile déserte, une ile loin loin, tout en sable, à 300 milles du Groenland , à 4 kilomètres de l'Islande, une île qui n’avait vu avant moi que de grands Vikings hauts comme ça.....
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Ça fesse en tabarnac! J'ai comme l'impression d'être dans une machine à laver au cycle SPIN. Ma tête veut s'arracher de mes épaules. Je tiens le throttle plein moteur et je tire comme un malade sur le manche. Je remonte peut-être à une vingtaine de pieds, mais là ça repart par en bas en direction de la prochaine dune. BADANG ! Le train d'atterrissage plie, le sable revole, je reçois mon bagage derrière la tête, des machins me giflent le visage, probablement mon GPS portatif, ou bedon mon satellite, aller donc savoir quand ça vous frappe de partout. Pi kessé ça peut ben crisser de savoir si c'est le GPS ou le satellite qui vient de me cogner le crâne comme s’ils voulaient rentrer dans le dedans de moi. Pi j’ai assez de gadgets sur mon tableau de bord pour tuer une demi-douzaine de pilotes. C’est reparti dans les airs une trentaine de pieds. Jamais je ne croirai que ça ne va pas voler maintenant. Un coup d’oeil sur le badin: 65 noeuds cibole, avec plein volet, comment ça se fait que ça ne vole pas. Hostie, ça retombe ! Ca va encore fesser câlisse. BADANG ! La porte s'ouvre sous le choc. Ça veut dire que la structure s'est déformée. Le sable propulsé par les roues rentre à pleine pelle. J'en ai partout. C’est dégueulasse du sable plein la bouche quand tu hyperventiles. J’en ai plein les yeux aussi, et pourtant, je vois très bien. Hop! C'est reparti vers en haut. J'ai mal de partout. Mes écouteurs se sont arrachés de mes oreilles. Le bruit du moteur est infernal. Bon, nous revoilà à trente pieds dans les airs, peut-être que cette fois-ci sera la bonne et que l'Hélio décidera enfin de voler. Mais non, ça semble vouloir retomber. J’ai le nez trop pointé vers le ciel. Les volets, les becs de bord d’attaque, l’angle de mes ailes, tout ça provoque trop de trainées. Le moteur n’arrive pas à prendre le dessus de tout ce drag. Je suis ‘behind the power curve’. Ca va retomber c’est certain. Pas moyen de repousser le manche pour en sortir, je frapperais les dunes de sable encore plus fort. Si je pouvais juste comprendre kessé je fais icitte dans ces dunes de sable. J'ai pourtant regardé en atterrissant, j'avais au moins dix milles de belle plage platte qui longeait ces grosses dunes. Comment j’ai pu me retrouver dans ces dunes en redécollant. Pi surtout comment ça se fait qu'il veut pas voler, cet enfouèré d'avion. 70 mille à l'heure! 70 mille a l'heure et voilà qu'il retombe le tabernacle. Il devrait voler, sacrament, à cette vitesse. Je pense avoir le vent de dos maintenant, mais 70 milles à l'heure sur le badin, c'est quand même soixante milles à l'heure, clisse ! Fuck, on tombe vers la prochaine dune de sable. BADAAAANG ! Le bagage me frappe par en arrière. J'écrase dans le siège. Je sens ma colonne éfouèrer. Ayoye la vertèbre. Quand le siège va céder, ça ne sera pas de la tarte. Les Petits Pères, câlisse, z'avaient refusé de me vendre ce siège qu'ils ont développé pour leurs Hélio. Un siège qui se déforme pour éviter la compression de la colonne et te sauver de la paraplégie lors d'un écrasement avec chocs verticaux. Jusqu'à 45 G qu'il permet d'absorber ce siège. Des pères missionnaires qui amènent des bibles dans les villages les plus reculés de la planète, mais qui n'ont même pas la décence de me vendre un siège qui me sauverait la vie. Ils les gardent pour eux leurs clisse de siège. Amen. C'est ça qu'il y a avec les religieux professionnels, ils s'enfargent dans leurs rites et perdent de vue la finalité de leurs missions. Crisse de siège. Avec le mien, quand je vais toucher les 12 G, ma colonne va se désagréger. Ça sera le fauteuil roulant, l'incontinence, le massage rectal aux trois jours pour aider les intestins à se souvenir qu'il faut qu'ils se mettent en mouvement si on veut évacuer tout ça. C'est une garde malade qui m'a expliqué ça. C'est temps-ci, elle leur fait ça aux paraplégiques de la moto. Sinon les boyaux se remplissent de merde et tu meurs empoisonné de ne pas avoir pu évacuer ce que tu as bouffé. Elle m'a conté ça deux jours avant que je parte. Elle devait savoir ce qui allait m'arriver. Les infirmières savent toujours quelle merde va vous frapper question santé. D'ailleurs, c'est elle qui m'avait dit pour ma grand-maman: "Louis, ne parts pas tout de suite en week-end, pour ta grand-maman, ce sera pour samedi vers midi". Les infirmières elles savent d'avance. Grand-maman m’a quitté en me plantant ses ongles dans la peau de mon avant-bras à midi pile. Faut dire que ce n’était pas si difficile à deviner, il parait qu’elle avait une prescription de morphine à dose de cheval pour cette heure-là. Quand même, les infirmières, elles savent d’avance. Pas comme les médecins qui eux ne savent qu'après. J'ai hâte de voir qu'est-ce qu'ils vont faire de moi, les docteurs islandais. Si jamais il reste de quoi à rapiécer. Bon, pendant que je discours sur mon état futur de santé, vlà qu'on est en train de piquer du nez nous autres. Ça ne pourra pas résister ce truc. Une aile va se détacher, le train va céder, le moteur va s'arracher. On ne peut pas prendre des chocs comme ça sans que ça pète de quelques parts. Pour moi aussi d'ailleurs. BADABANG ! .... Ouche.... ma colonne câlisse. Pif paf, encore un paquet de trucs qui me tombe dessus comme si on veut me boxer de partout.
Tiens, tous ces coups de partout, ça me rappelle la Bavarienne. Oui, oui, je sais, je devrais dire la Bavaroise, mais voilà, le peu de fois où je repense à elle, c'est "la Bavarienne" qui me vient à l'esprit. C'était après le show de Munich: le show de sport. Dans ce temps-là, j'y allais deux fois par année. Ça doit bien faire trente ans minimum. Tous les professionnels des affaires du sport se retrouvaient là. Cinq jours. Le show était terminé. Je voulais crisser le camp de là, question de bouffer autre chose que de la choucroute et des saucisses. Il n’y a que ça à bouffer en Bavière. Même pour déjeuner, saucisses et choucroute. De la choucroute à la bière, qu'on bouffe en buvant des gallons de bière. J'étais tanné, je voulais partir. Tous les avions étaient réservés pour trois jours. Je n’étais pas tout seul à vouloir foutre le camp de là. C'est incroyable les shows, vous y passez cinq jours enfermés avec plein de monde qui travaille dans le même domaine que vous, dans un genre d'atmosphère un peu surexcité, vous ne parlez que du show, de la business, tel fournisseur qui est en train de sortir un tissu miracle, ce gros détaillant qui est sur le bord de la faillite et qui signe donc des commandes partout, Untel qui a quitté X pour aller travailler chez Y. Cinq jours en vase clos. On finit vite par croire qu'il n'y a pas grand-chose dans le monde en dehors de ces murs qui vous enferment. On finit par croire que la vie, l'univers entier, c'est ces drôles de kiosques peuplés de vendeurs et d'acheteurs en cravate, ces pin-up en bikinis et talons hauts avec des pancartes qui déambulent dans les allées pour vous inciter à visiter tel kiosque. Je n’ai jamais compris pourquoi une fille en bikini doit porter des talons hauts. Des sandales, oui, des flip-flop entre le gros orteil, oui. Mais des talons hauts ? À Old Orchard, quand j’étais petit, il y a avait plein de filles en bikini sur la plage. Mais je n’en ai jamais vu une maudite en talons hauts. J’imagine que c’est assez difficile comme ça de marcher dans le sable qu’il y en a jamais eu une capable de le faire avec des talons hauts.
Après ces cinq jours, en moins d’une heure, tous les kiosques sont défaits. Derrière ces paravents colorés, vous retrouvez le drabe béton. Votre univers s'écroule. Il ne reste plus rien de ce que vous pensiez être le monde, l'unique monde au monde. Vous êtes d'un coup confrontés à la petitesse de votre univers, à l'inutilité de votre mission professionnelle sur terre. Dans quelques heures, un autre salon prendra la place. Un salon de jouets, ou de matériel de cuisine, ou d'ordinateurs, n'importe, mais avec des vendeurs différends même si coulés du même moule, des acheteurs presque identiques qu'aux autres, qui diront du même ton de confidence que Untel a eu une crise cardiaque et a été remplacé par le petit jeune qui travaillait pour la compagnie chose, le compétiteur. Il n'y aura que les filles en bikini qui seront les même, car il est de bon ton d'embaucher du local quand il s'agit de pin-up en bikini et talons hauts. Ainsi, ça leur assure un emploi à l'année. Imaginez la commotion s’il fallait prendre des filles du staff et leur demander de venir faire la pin-up en bikini! Pi c'est pas certain pantoute qu'on voudrait avoir la téléphoniste comme fille en bikini depuis qu'elle a pris dix kilos. Non-Monsieur, il y a des filles pour ces choses-là. En plus, ça leur donne la chance de s'habituer à la froidure de la tenue pour éviter les rhumes et les grippes. Imaginez une pin-up en bikini et talons hauts qui, pognée d'un gros rhume, passeraient son temps à se moucher en chambranlant sur ses hauts talons. Pi ousse que tu voudrais qu'elle garde sa réserve de Kleenex la pin-up en bikini? Dans sa culotte ? Dans sa brassière comme grand-maman ? Ça ne ferait pas très chic bon genre. Alors, elles ont cet emploi à l'année et n'ont même pas besoin de changer de bikini d'une exposition à l'autre, car il est rare qu'un vendeur de matériel de sport se retrouve la semaine suivante à vendre des ordinateurs. Et même si c'était le cas, il est fort peu probable qu'il s'aperçoive que le bikini est le même. L'acheteur est ainsi fait que ce qu'il remarque du bikini n'est pas vraiment le tissu lui-même. On ne peut pas tous être fils et petit-fils de fabricant de lingerie féminine pour s'intéresser à l'imprimé du tissu d'une pin-up en bikini et talons hauts . Mais pourquoi je pense à ces filles en bikinis qui doivent maintenant toutes être grand-maman? Revenons à moi, aucun siège d'avion de disponible pour se sauver de Munich. Restait le train, avec Rome comme seule destination où il restait de la place. En deuxième classe, mais avec couchettes. Deux, superposées. J'étais au wagon-restaurant: devant moi, une fille vient s'asseoir. Une colosse, avec les épaules larges comme ça. Des mains grosses comme les miennes. Elle tenait un sac de sport et pourtant était habillée de ce costume bavarien que les grosses femmes portent toutes à Munich, comme si elles étaient figurantes dans le film "La mélodie du bonheur". Un genre de grande jupe pour le bas, portée pour le haut avec une veste pas de manche qui est découpée sous les seins qui eux sont retenus par une blouse blanche. La fille s'assoit juste devant moi. Elle a les cheveux en boudins, quand elle se déplace, tout le wagon tremble. Ses seins sont énormes, la blouse les retient, mais il y a un bouton là, seul juste en avant, qui force à tout rompre sous la tension. Moi je fixe le bouton, j'essaie de voir comment il peut tenir sous pareille pression. Ça ne se peut pas, ce n’est pas chrétien de faire ça à du textile. Ça aurait pris de la grosse sangle, une camisole de force, pas une blouse presque en dentelles retenue par un simple bouton. C'était dans les années où je développais un sac à dos, la résistance des fils à coudre m'intéressait au plus haut point, et le fil à coudre qu'on avait pris pour ce bouton était d'une résistance incompréhensible. On aurait dû lui décerner le prix Nobel du bouton à quatre trous à ce fil. On voyait bien que le tissu voulait se rompre. Et pourtant, ça tenait. De temps à autre, la Bavarienne prenait un grand respire, moi je me disais « Voilà, c'est là que ça va céder, ça va péter, le bouton va être propulsé avec une force inouïe, si je ne fais pas gaffe et que je le reçois dans le front, ça sera la mort instantanée ». Mais non, je fixais incrédule ce pauvre bouton qui résistait à cette masse de chair. On est dans les années 80, le Kevlar vient d'être commercialisé. Il y a même l’autre français qui va l'utiliser pour faire le toit du stade olympique de Montréal. Je n'en ai jamais vu de mes yeux vus. Ce bouton doit sûrement être cousu avec un fil de cette nouvelle fibre encore plus résistante que l'acier. Ca ne se peut pas résister ainsi. La fille prend des respires de plus en plus grands. Ça déborde de partout. Un gars qui tombe dans cette craque est pas prêt de se relever, c'est certain. Encore un respire, le bouton tiendra-t-il ? C'est ainsi qu'en fixant le fil à coudre d'un bouton à quatre trous, je donnai l’impression à cette mastodonte que je m’intéressais au plus haut point à son décolleté. Alors que moi, vous me connaissez, ma fixation, mon monoïdéisme, n'était que textilien et professionnel. Alors qu'elle respirait de plus en plus souvent, et de plus en plus bruyamment, je levai les yeux pour comprendre le pourquoi de ses soufflements de juments. Elle me souriait avec un air entendu alors que je n'entendais de rien du tout moi!
- TICKET (qu'elle me lance la mastodonte) PAPIER !
Je lui montre mon ticket. Je ne suis pas du genre à m'obstiner avec une digne représentante de la Gestapo moi. Elle regarde mon ticket et se lève en me faisant signe de la suivre. Fuck, ça ne se peut pas. La guerre est finie depuis trente ans, mais je viens d'être réquisitionné par l'armée allemande. J'ai envie de m'excuser pour mon intérêt sur son décolleté, lui expliquer que c'était uniquement professionnel, que c'est de famille et de père en fils, que je ne veux pas vraiment de ses énormes chairs. Mais la grosse ne semble pas très intéressée par une discussion orale.
- SHNEIL (qu'elle me pousse dans le dos pour que je sorte du wagon-restaurant vers mon wagon couchette)
Il n’y a rien à faire, j'allais passer à la moulinette c'est certain. Je marche dans le corridor du wagon comme dans un film français sur la résistance. Dans les films français, il y a toujours un résistant. Toujours, toujours, le résistant français marche dans un corridor de train avec la Gestapo qui lui coure après en ouvrant les portes d'un wagon à l'autre. Vous allez voir ça dans tous les films français d’après-guerre. Même que dans Amélie Poulain, ils en ont mis un, en arrière, un résistant français. La Gestapo pi le résistant, ça va ensemble dans le cinéma français. Mais moi, la Gestapo, je l'ai déjà collée au cul. Je pourrais bien tirer la sonnette d'alarme, sauter en bas du train, partir à courir, mais on a beau être en 1980, la Gestapo a encore ses antennes partout en Allemagne: je n’arriverais surement pas à me sauver, la grosse appellerait son papa. Sa gang de nazis me retrouverait à coup sûr. Imaginez le mauvais quart d'heure qu'il me ferait passer son papa. Il m'arracherait les dents une par une, avec une pince grosse comme ça, en me faisant avouer mille fois la même affaire. On ne se sauve pas de la fille d'un nazi sans en subir de terribles conséquences. Il y a même eu un film là dessus avec Dustin Hoffman du temps qu’il était jeune. "Marathon Man", avec un nazi qui lui arrachait toutes les dents. Il est peut-être arrivé le temps qu'on me mette à l'épreuve: les jolies, les belles, les mignonnes, c'est du facile ça. Ça se fait tout seul. L'envie vient en baisant. Mais une grosse comme celle-là, les cheveux en boudin, avec des épaules plus larges que les miennes, ça, ça prouve quelque chose de sa virilité. J'ai maintenant presque trente ans, le Bon Dieu a peut-être trouvé qu'il était temps que je mette réellement de mon moi-même. «Fini les mignonnes, qu'il me dit, ça fait dix ans que je t'en mets sous les pattes, et des plus jolies, sans que tu te décides à prendre famille, et bien maintenant, mon bon Louis, voilà par où tu devras passer. Ça va peut-être te mettre un peu de plomb dans la cervelle. Après celle -ci, la prochaine mignonne, tu vas peut-être y penser à deux fois avant de la jeter après t'en être régalée. Tu me feras plus attendre longtemps avant de passer devant moi pour tes voeux.»
Elle avait repéré le numéro de ma couchette en checkant mon ticket. Elle me poussa sans ménagement dans ma cellule. Je n’ai rien vu, mais je savais que toute résistance serait inutile. Pif, paf, bang, j'étais couché sur le dos dans ma couchette, tout nu, avec l'entraîneuse sur moi. Parce que oui c'était une entraîneuse de l'équipe est-allemande de lancer du poids. Elle était massive et dure comme de la roche. Elle avait même fait les olympiques de Montréal quatre ans avant. Un genre de gorille tout en muscle. Elle s'activait sur mon pauvre corps, et à chaque fois que le genou lui glissait à côté de la couchette, elle tombait sur moi. Pif, paf, je recevais un morceau d'elle dans les cotes, ou sur une joue, ou un coude dans le plexus solaire. Je n’avais pas le poids que j'ai maintenant. Je pesais 165 livres mouillé. J'avais cette masse de muscle sur moi qui s'était donné comme mission de briser mon petit corps. Si je survivais, je promis à la Sainte Vierge, qui n'était jamais passée par la couchette (s’il faut en croire les Saints-Evangiles) et donc qui aurait un peu de sympathie pour moi, que plus jamais je ne fixerais de décolleté de ma vie. PIF PAF OUILLE !! Les yeux fermés, la grosse dure s'était mise à s'agiter en me frappant de coups de poing qu'elle croyait gentils. La sueur perlait sur son front. Je me sentais comme une lavette. Quand je recevais un de ses seins au visage, c'était comme si on m'avait kicker un ballon de foot en pleine face. C'était fini pour moi les gros seins, je l'avais toujours soupçonné, mais bon, quand tous les copains font des HAAAA et des HIIIII sur la grosseur des boules, tu te poses pas de question sur ton toi-même et tu penses que toi aussi tu tripes grosses boules. Mais là je savais que pour moi, les grosses boules, c'était terminé. Plus jamais. Si je sortais vivant de cette cellule de torture, j'allais directement à Montréal casser avec ma blonde de l'époque qui avait des boules à la Rachel Welsh. Six ans ensemble, six ans de grosses boules que je n’avais jamais su faire quoi avec. Ça suffisait. Qu'on me laisse sortir d'ici et je promets que maintenant il n'y aura que de jolis petits seins dans ma vie. La Bavarienne s'agite de plus en plus comme si elle fait son dernier sprint aux olympiques. Elle va me briser c'est certain. Elle va me pogner par le zizi et me faire tournoyer tout nu autour de sa tête avant de me lancer par la fenêtre du train en marche. je suis mort. Je n'ai plus aucun espoir. Pif ! Paf !

L'odeur. L'odeur arriva d'un coup. Avec elle une douche froide. Ma ferry tank qui était derrière moi venait de s'éventrer. Les gallons d'essence qu'elle contenait encore venaient d'asperger tout l'intérieur de la cabine. Une maudite Ferry Tanl en aluminium au lieu d’une bonne Turtlepack flexible. L’essence partout. Ça devenait sérieux. Il n'était plus question de rigoler en pensant à la Bavarienne. Si FXOH ne se décidait pas de voler, ou de rendre l'âme drette là, on allait y passer tous les deux. Ce n'était vraiment plus drôle cette affaire. Ça ne prend pas grand-chose quand l'habitacle n'est que vapeur d'essence. Une miniétincelle, un back-fire, une pensée cochonne et BOUM !, on avait les souvenirs qui s'envolaient en fumée. Était-il déjà trop tard pour fermer mon "master" ? J'ai toujours cru que Jean-Claude avait explosé après son écrasement parce qu'en fermant le "master" il aurait provoqué cette étincelle qui les aurait enflammés. Fuck, l'hélio piquait du nez vers une grosse dune. J'avais déjà les épaules en compote des chocs sur la ceinture de sécurité et voilà qu'on s'en allait en prendre un autre qui ne serait pas de la tarte. «Behind the power curve», je retombais !! BADABANG ! Le sable revole dans le windshield, une roue apparaît dans ma fenêtre de droite, on décélère, ça tourne à gauche. Le train gauche a cédé. L'aile a piqué dans le sable. L'hélice fait revoler une colonne de sable qui monte d'aussi haut que je peux voir. Je suis abasourdi par la beauté du mouvement du sable qui retombe. Comme un rideau semi-transparent avec le plus beau paysage derrière. Le moteur arrête. Ça ne bouge plus. J'ai mal partout. Mixture Pull, Master Off (en se croisant les doigts de pas sauter), Fuel Selector Off, Magnéto off. Je défais ma ceinture, la porte ne s'ouvre pas: je vois bien que c'est le pneu qui est rendu à sa hauteur qui l'empêche d'ouvrir. Je saute à l'arrière et je sors par la porte à bagage. Je cours. Je cours pour ma vie. Je cours comme dans un film au ralenti parce que je ne suis pas très certain d'avoir encore droit à un bout de vie. Dans mes oreilles, la musique de The Chariots Of Fire parce qu'il y a une scène là-dedans ousse que le monde court au ralenti sur une plage. Je regarde derrière, convaincu qu'une flamme va partir de l'avion pour suivre ma trace en me rattrapant et en mettant le feu à mes vêtements trempés d'essence. Je cours en regardant par en arrière parce que je pense me sauver de la mort. J'enlève mon T-shirt. Je cours. J'enlève mes souliers. Je cours. J'enlève mes pantalons en sautillant sur une patte et l'autre. J'enlève même mes bobettes parce que ça serait vraiment con de mourir immolé de là. Je cours nu, au ralenti, sur une plage d’Islande. Je cours les bras en croix pour que l'essence s'évapore. Je suis vivant. Nu, ridicule, perdu sur une île de l'Islande qui ressemble au Sahara, mais je suis vivant !
Vlan ! à courir en regardant en arrière, je tombe d'en bas d'une dune. Je m'étale de tout mon long dans le sable. Je suis assez loin de l'hélio que je m'attends à voir exploser à tout moment. Je m'assoie les foufounes dans le sable. J'ai encore mon chapeau ! Je regarde le paysage magnifique, le sable, ces dunes que je comprends pas encore comment ça se fait que je suis dedans, les montagnes au loin, la mer. Dieu que la vie peut être belle des fois pour les yeux. Le vent souffle, mais le sable est chaud du soleil. Je m'enterre dedans en rigolant. Il y a deux types que j'ai connus qui sont morts vingt minutes après leur écrasement: les lésions internes, ces hémorragies qui te font perdre ton sang par en dedans. Il n'y a rien à faire contre ça. Une vingtaine de minutes après ton écrasement, alors que tu ne sens rien à cause de l'adrénaline. Tu meurs au bout de ton sang sans en voir couler une goutte. Je prends note de l'heure. Il faut maintenant que je décide à quoi passer ces vingt dernières minutes qui me restent à vivre. Pour la branlette, on repassera. Remarquez que je peux très bien les passer à ne rien faire. Il y a des gens comme ça qui passent leurs vies à ne rien faire. Ils ne risquent pas de se crasher sur une île d'Islande. Pourquoi ne passerais-je pas mes vingt dernières minutes à ne rien faire moi ? Ça peut être agréable vingt minutes à ne rien faire avec du sable dans la craque des foufounes. Ce n’est pas tous les jours qu'on peut passer vingt minutes tout nu enterré dans le sable sur une île déserte d'Islande après s'être crashé en avion. Le vent veut m'enlever mon chapeau. Gentil vent. Tout ce temps j’ai gardé mon chapeau ! Toujours enterré dans le sable, je me l'enfonce bien sur la tête. Si jamais je meurs d'une hémorragie interne, s'il vous plaît, prenez une photo de la face du coco qui va me trouver dans cette position, nu avec un chapeau! Je ne voudrais pas manquer ça pour tout l'or du monde!
J'ai mon satellite à la main. Demandez-moi pas comment ça se fait que j'aie encore mon chapeau et mon satellite à la main, mais ils sont là. Faudrait bien que j'appelle quelqu'un. Du coup que je crèverais ici ça va prendre un clisse de boutte avant que quelqu'un me retrouve. Tantôt je vais appeler Gaston pour l'avertir que j'ai crashé et ousse que je suis. Mais pas tout de suite. Là je veux parler à quelqu'un qui me demandera pas ousse que je suis pi si je vais bien. Là je vais appeler Albert le Belge. Il est belge et d'un désagréable comme ça ne se peut pas. C'est pour ça qu'il ne peut pas avoir d'amis par chez eux. Il est obligé de venir jusqu'au Canada pour s'en trouver. Ils fument sans ménagement pour son entourage. Et n'importe quoi d'ailleurs il le fait sans ménagement pour son entourage. Snob, riche aussi. Il y a deux ans il a perdu son petit fils de deux ans par le cancer. Pi l'an dernier ce fut lui qui pogna un cancer de la gorge. Guéri ici à Montréal vu que les médecins de chez eux étaient tous des tarés s’il faut le croire. Dure épreuve. Il est devenu presque endurable. Presque fin. Mais après un ou deux mois, une fois guéri de son cancer, c'est revenu comme avant. Pas le cancer, mais le désagréable. Quand il vient à Montréal, je me cache pour ne pas le voir. Couché dans le sable, nu, avec mon chapeau, je pogne mon satellite et j'appelle Albert le Belge Désagréable. On était maintenant tous les deux des rescapés non ?
- Ça va Albert ? ( je lui ai dit sans lui dire que j'étais nu dans le sable sur une île déserte)
- Non, les docteurs viennent de me trouver un cancer aux poumons
- Fuck, vas-tu faire de la chimio ?
- Non, c’est trop avancé qu’ils disent. Même avec une dose de cheval, ils n’en arriveraient pas à bout de la tumeur. Une histoire de «Behind the power curve».
- Ne peuvent pas t’opérer ?
- J'en ai des deux côtés. Ils ne peuvent pas m'enlever les deux poumons. J’ai plein de métastases partout. Je vais mourir Louis
- .....
- Louis ?
- Oui Albert...
- J'ai peur Louis
- Désolé Albert....
Je raccroche pour toujours sur Albert. Regarde ma montre Emergency Brietling: ça fait maintenant plus de vingt minutes que j'ai crashé. Je ne vais pas mourir d'une vulgaire hémorragie interne. L'avenir me sera un peu plus banale: une crise de coeur ou un cancer. Je vais quand même attendre encore un peu avant d'appeler Gaston. Pour le plaisir d'être ici, seul.
Allongé tout nu à moitié enterré dans le sable, avec un chapeau, question de décence publique, ma bébelle volante crashée pas trop loin, les côtes en compotes, mais plus de cancer connu au cou, je viens de perdre quarante ans d'un coup.
Bordel que je fais un beau voyage...
Louis
