Saisons des flottes ( une histoire à Louiis )
Posted: Tue 02 Mar, 2010 16:00
Merci de me dire merci. Merci à vous qui me lisez. Sachez que j'ai beaucoup de plaisir à vous lire.
J'ai longtemps boudé le site des ailes. Par fidélité pour mon association l'APBQ. Puis quand le vent entre les branches a soufflé que ces deux sites pouvaient s'unir pour devenir un seul site, qu'il représenterait bien tous les aviateurs d'ici et même d'ailleurs, dans ma langue qui est celle de mes ancêtres, vous m'avez vu débarquer chez vous.
Mais je vous lisais déjà depuis un bon moment, amis. Je vous espionnais pour essayer de vous connaitre. Vous connaitre avant de vous parler. Vous m'étiez déjà pas mal familiers par vos écrits quand j’y suis débarqué avec mes gros sabots. Il m’a été pas mal plus facile de vite vous aimer.
Ce qui m'a le plus étonné, c'est le doux changement de ton chez certains. L'écriture de blogue ne se prête pas souvent à la subtilité. Des remarques qui auraient été anodines autour d'une bière peuvent vite devenir acerbes en écriture. L'utilisation de majuscule, des smillies, de caractère gras ou gros, ou petit, sont toutes de subtiles techniques pour donner le ton. Je vous ai vu vous adapter, apprendre la subtilité de toutes ces techniques pour essayer de faire passer un message qui nous vient du coeur, dans la finesse des doses, puisque les sentiments font toujours dans la finesse. J’ai essayé d’apprendre toutes ces techniques en vous lisant . Sachez que j'ai trouvé beaucoup de plaisir à vous lire.
Puis j’y suis débarqué. Ouch ! Pas toujours facile. Vous me montreriez certains de mes messages sans dire qu’ils sont de moi, que je m’exclamerais « Mais qui est ce connard avec ce ton suffisant !!» Ça m’est arrivé d’ailleurs , en faisant une recherche sur un sujet passé, à m’offusquer de mon ton du «type qui sait tout» avant de m’apercevoir que le message était de moi, et que le connard était bibi. Pas toujours facile, en effet, de faire passer un message dans un ton agréable à écouter. Car lire, c’est écouter l’autre. Nous avons donc une certaine responsabilité à rendre le ton agréable à écouter pour l’autre.
Sur ce site, bravo. Incroyable le ton. Vous êtes rendus les plus meilleurs de tous les sites de discussion que j’ai visités. Vous êtes les seuls chez qui je me plais à passer du temps. Vous lire est un plaisir. Et maintenant que j’y suis, parmi vous, je me force un peu pour vous rendre la pareille.
Est-ce dû à ce fabuleux modérateur qu’a été Treer1 , est-ce du que nous partageons une même passion. Surement beaucoup du premier. Bravo Treer1 , tu as donné le ton, on dirait que ton fantôme et ta discrète présence continue de nous tenir. Merci.
MikeKing, tu m’as demandé une autre histoire. Je vais t’en servir quelques-unes. Pas ici, puisque mon introspection ne regarde pas tout le monde. Je vais mettre ça dans la section protégée par mot de passe, à l’abri de ce monstre fureteur qu’est devenu Google.
TTQ-j-p l’a bien compris, lui, que je suis rongé du dedans d’un désir malsain. Je ne voudrais pas embêter personne. J’intitulerai mes histoires personnelles par un « Une histoire de Louis¨. Entre parenthèses, parce que la vie en est pleine.
Gaston, tu viens de me donner le OK pour parler de «lui».
Ce post est une de mes histoires. Écrites il y a plus de dix ans. Je pilotais déjà depuis un boutte. Lauzon m’avait permis d’être son ami. Il m’avait présenté à ce pauvre Gaston qui m’amena à son camp, en hydravion, en regardant mon maigre bagage d’un air dédaigneux de tout ce qui pèse plus qu’une plume, calculant son gross weght de 180, ne sachant pas qu'il allait plusieurs années plus tard se faire niaiser à répétitions par moi sur le site des ailes. Rendu au camp, Lauzon me montra à voler, dans son cub. Ce Cub qui devint mon premier avion. Gaston peut vous confirmer, être son ami n’était pas de tout repos émotivement. Je comprenais à peine comment Gaston résistait encore à cette amitié.
Je n’ai jamais écrit avant sa mort. Rien. Niet. Au collège, je remettais toujours une feuille blanche en composition française. Pas question d’ouvrir la moindre fenêtre pour que le prof me regarde l’intérieur. Je lui remettais une feuille blanche. Ila prenait, faisait semblant de la lire, puis me mettait zéro. Disons que je n’ai jamais compris comment j’ai redoublé qu’une couple de fois, passant lentement à une classe supérieure jusqu’au Cegep.
Une fois je suis monté vers le nord. Pour aller faire la descente en canot de la Koroc. Cette magnifique rivière qui fend les monts Torngatts. Je volais en même temps que Gaston. On se parlait sur 122,75, Gaston et moi. Il montait lui aussi là-bas, mais plus à l’ouest, pour la pêche. Lauzon devait venir le rejoindre le lendemain. Mais tout ce temps, Lauzon était déjà dans les airs. Il nous espionnait sur la fréquence. Chien de tête, il n’avait jamais pu attendre son lendemain si Gaston et moi on était parti. Il devait toujours être le premier. Il est arrivé sur la fréquence, avouant sa présence, nerveux d’avoir pu ne pas être le premier. On a essayé de se voir dans les airs. Je pense l’avoir aperçu, au loin, dans un éclair au soleil, me dépassant. Puis il a disparu vers l’avant. Le canot que j’avais d’attaché sur les flotteurs me ralentissait trop pour le rattraper. Mon ami venait de disparaitre.
J’ai viré vers Georges River. Gaston et Lauzon sont partis ensemble vers la Koksoak. Salut Gaston, Salut Lauzon. J’ai continué vers la Koroc. Venez me voir, amis chers, je garde sur moi un portable d’avion pour vous jaser sur 122,75 si jamais vous venez me survoler..
Je ne l’ai jamais revu. L’accident n’a rien laissé de lui. Ce fut mon premier deuil. Je vous conterai une autre fois l’hélico qui est venu me chercher, la chute Ourlouttuk, le canot jaune qui est toujours là, en haut des chutes, dans la toundra. Pas tout de suite pour cette histoire. Là, je ne vous conte que la douleur de la perte d’un ami.
Un an jour pour jour, j’ai pris mon ordine et j’ai écrit. Écris une partie de cette histoire d’amitié qui avait été la mienne avec Jean-Claude.
Vous avez vu la météo ? Le printemps déjà. Il n’y aura pas eu d’hiver. On s’est fait voler notre plus beau mois de skis. Hugo n'aura pas la chance de profiter de ses skis. Il va les vendre cet été. Il passera à coté de la vie. Et demain, déjà, ça sera la saison des flottes, chers amis des Ailes
Bientôt mon hélio aura deux gros pontons attachés après les pattes. Bientôt je ne serai plus seul à voler sur 122,75, la fréquence de babillage des pilotes de brousse. Bientôt j'entendrai Gaston lancer à tout hasard sur les ondes: -Dieu est-il là?"
Car Gaston me surnomme Dieu, vu que je suis toujours là, dans les airs, au bout de la radio, pour lui répondre lorsqu'il décolle.
- Dieu est-il là?
- Salut, mon Gaston ! Oui, je suis là
Le début de la saison des flottes, chaque année, c'était le moment où je "reprenais " avec Jean-Claude. L'hiver était toujours difficile pour notre "couple". Moi, je devais travailler. Lui, il voulait qu'on aille jouer. Je ne retournais plus ses appels. Il se choquait. Je me cachais. On ne se parlait plus. Même dans notre silence, il me disait un paquet de choses aussi méchantes que vraies. J'encaissais sans répondre. Blessé de toutes ces méchancetés vraies qu'il n'avait même pas pu me dire vu qu'on ne s'était même pas parlé, je me recroquevillais sur moi-même, craignant un coup de téléphone qu'il ne m'aurait pas fait anyway. L'enfer sur terre.
Puis arrivait le printemps. Puis arrivaient les flottes. Puis arrivait le moment où on se retrouvait au même moment dans les airs. En l'entendant s'annoncer sur la radio, mon coeur bondissait. Le sien aussi, j'en suis certain. Mine de rien, sans rien montrer des blessures laissées par toutes ces méchantes choses qu'on ne s'était pas dites, on commençait à parler de tout et de rien avec une intensité toute Lauzonnienne. Non, en fait on commençait à parler d'huile. D'huile à moteur d'avion. Il me demandait mon opinion sur cette nouvelle huile, comme on demande une opinion politique. Ou comme on fait une déclaration d'amour. Lui et moi, sur les ondes, nous glissions dans d'interminables discussions sur ces lubrifiants si nécessaire pour faire rouler nos mécaniques. Les autres pilotes, exaspérés, changeaient de fréquence. Nous, on restait enfin tout seuls sur 122,75, à se parler d'huile, en faisant attention de ne pas se blesser. Comme deux amoureux qui se retrouvent. Les mots, inutiles, n'avaient aucune importance. Le ton, lui, disait tout:
- Écoutes, Louis, je sais que tu utilises la 15W50 de Shell, je sais que c'est moi qui te l'as fait découvrir, comme plein d'autres choses d'ailleurs, je sais que je t'ai dit que c'était la meilleure, mais je pense qu'on devrait peut-être revenir à la Phillips straight, celle dans la canette bleue, moins cher, tout aussi lubrifiante même si elle n’est pas multigrade... etc., etc. blablabla
Gaston qui le connaissait mieux que moi, si il nous entendait, devait traduire dans sa tête :
- Salut Louis, je suis content de te parler, espèce de salaud sans coeur, je t'aime quand même ...
- Moi aussi, Lauzoné. Pardonne-moi, je t'aime, même si tu me fais chier. Où es-tu? Atterris et j'arrive, on va se faire de grosses accolades , on va se regarder dans le fond des yeux, pi on va se promettre qu'on ne se quittera plus jamais... plus jamais, Jean-Claude, on ne se quittera. Pas même d'une semelle, pas même d'une longueur d'aile...
Et, seul dans mon avion, avec la voix de Jean-Claude qui me jasait d'huile d'avion dans le fond des deux oreilles, les larmes me venaient aux yeux d'avoir retrouvé mon ami.
C'était ça, le printemps, pour moi, depuis quelques années.
Après l'accident, on a mis les soixante livres qui restaient de son corps dans un sac de plastique. Un ami de Kuujuak pris d'une main le sac contenant Jean-Claude et de l'autre le sac contenant l'autre victime si adorable dont la mort bouleversa tant le coeur des Québécois. Leurs corps furent rapatriés à Montréal. Jean-Claude incinéré subito presto. Je n'ai jamais vu de cercueil. Je ne l'ai jamais cru ou senti mort. Quand le téléphone sonnait, trop tôt le matin, je pensais que c'était lui. Quand je voyais de dos une tignasse poivre et sel sur Saint-Laurent, je sursautais, pensant le voir. Je n'ai pas eu à faire de deuil, il était toujours vivant.
J'ai commencé mes cauchemars un peu avant Noêl : Jean-Claude entrait chez Kanuk alors que j'étais dans le jus. Il me demandait de l'accompagner pour magasiner des «shrinking tube». Ce sont de petits tuyaux en plastique noir et souple qui rétrécissent à la chaleur. Pratiques pour protéger les connexions électriques ou faire la finition des bouts des cordes. Je lui disais que j'étais trop occupé pour l'accompagner. Il insistait:
- Il faut que tu viennes, Louis. Depuis que je suis mort, les vendeurs ne me voient pas et je ne peux pas me faire servir. Il n'y a que mes amis qui m'entendent et me voient. Viens me servir d'interprète. Tu me dois bien ça...
Dans ce cauchemar d'ailleurs si souvent vécu, il insistait jusqu'à ce que j'accepte. Puis on partait magasiner ses «shrinking tube». De magasin en magasin, tous étaient en rupture de stock:
- Jean-Claude, s'il te plaît, il faut absolument que je retourne travailler...
- Non, pas question que tu m'abandonnes encore, on prends ton avion et on va maintenant à Burlington, je suis sûr qu'ils en ont de toutes les grosseurs et peut-être même des rouges, des jaunes et des bleus ! Allez ! on y va. Tu me dois bien ça ...
Et, dans mon rêve, on repartait pour Burlington. Parce que dans la vraie vie, je lui devais bien ça.
Je me réveillais épuisé. Le cauchemar revenait presque chaque nuit. J'étais exaspéré. Je me couchais nerveux de le voir retontir dans mon sommeil. J'ai finalement pu régler mon problème: j'ai acheté un gros tas de shrinking tube. J'en ai laissé dans mes chars, dans mon avion, à côté de mon lit... Avant de m'endormir, je les regarde et je dis à Lauzon :
- Check ça, Lauzon, il en a de toutes les grosseurs, pi dans plein de couleurs, sers-toi pi laisses-moi dormir en paix
Je n'ai plus mes cauchemars maintenant.
J'ai eu FXOH sur flottes ce beau vendredi de printemps. En décollant, quelque part il me restait un espoir de l'entendre. Mais il n'était pas sur la fréquence. J'ai volé tout ce que j'ai pu voler, mais jamais il ne s'est annoncé. Bizarre. Il a commencé à mourir lentement et doucement. J'ai lentement et tout doucement, commencé à pleurer.
Ce matin, je suis allé à Boston pour un show de tissu. Depuis que la mode de la mondialisation, nos fournisseurs nous font de la merde. Il faut chercher continuellement de nouvelles sources. J'ai dédouané à Burlington. Parce que les douaniers me connaissent, c'est plus facile qu'à Boston.
- Still doing those winter jacket, sir ?
- Yes. And still flying
- By the way, I was looking at the canadian television last summer, and I saw that your friend, the film-maker, killed himself. I am very sorry.
- Well... yes... heuu...beuhhhh
Pis la babine du bas commença à me trembler. Les yeux voulaient me sortir de la tête à cause de la pression des larmes retenues. Je commençais à souffler comme un chevreuil en rut. Et enfin, tout lâcha et je braillai sans contrôle sur le bureau du douanier. Vous auriez dû voir sa tête! Jamais douanier américain ne se sentit si mal. Le pauvre ne savait plus où se mettre. Il regardait ses souliers, le plafond, ses ongles... Ça me faisait rire en même temps que je braillais. Toute une scène! Et moi:
- Excuse-me, sir, it is just nervous, no problem, no problem...
No fucking problem, c'est juste que je suis pu capable d'arrêter de brailler.
Tu va encore me gâcher mon printemps, Lauzon de merde
Et tu me manques tellement, maudit chien sale
J'aurais tant aimé que tu le saches.
Louis
.
J'ai longtemps boudé le site des ailes. Par fidélité pour mon association l'APBQ. Puis quand le vent entre les branches a soufflé que ces deux sites pouvaient s'unir pour devenir un seul site, qu'il représenterait bien tous les aviateurs d'ici et même d'ailleurs, dans ma langue qui est celle de mes ancêtres, vous m'avez vu débarquer chez vous.
Mais je vous lisais déjà depuis un bon moment, amis. Je vous espionnais pour essayer de vous connaitre. Vous connaitre avant de vous parler. Vous m'étiez déjà pas mal familiers par vos écrits quand j’y suis débarqué avec mes gros sabots. Il m’a été pas mal plus facile de vite vous aimer.
Ce qui m'a le plus étonné, c'est le doux changement de ton chez certains. L'écriture de blogue ne se prête pas souvent à la subtilité. Des remarques qui auraient été anodines autour d'une bière peuvent vite devenir acerbes en écriture. L'utilisation de majuscule, des smillies, de caractère gras ou gros, ou petit, sont toutes de subtiles techniques pour donner le ton. Je vous ai vu vous adapter, apprendre la subtilité de toutes ces techniques pour essayer de faire passer un message qui nous vient du coeur, dans la finesse des doses, puisque les sentiments font toujours dans la finesse. J’ai essayé d’apprendre toutes ces techniques en vous lisant . Sachez que j'ai trouvé beaucoup de plaisir à vous lire.
Puis j’y suis débarqué. Ouch ! Pas toujours facile. Vous me montreriez certains de mes messages sans dire qu’ils sont de moi, que je m’exclamerais « Mais qui est ce connard avec ce ton suffisant !!» Ça m’est arrivé d’ailleurs , en faisant une recherche sur un sujet passé, à m’offusquer de mon ton du «type qui sait tout» avant de m’apercevoir que le message était de moi, et que le connard était bibi. Pas toujours facile, en effet, de faire passer un message dans un ton agréable à écouter. Car lire, c’est écouter l’autre. Nous avons donc une certaine responsabilité à rendre le ton agréable à écouter pour l’autre.
Sur ce site, bravo. Incroyable le ton. Vous êtes rendus les plus meilleurs de tous les sites de discussion que j’ai visités. Vous êtes les seuls chez qui je me plais à passer du temps. Vous lire est un plaisir. Et maintenant que j’y suis, parmi vous, je me force un peu pour vous rendre la pareille.
Est-ce dû à ce fabuleux modérateur qu’a été Treer1 , est-ce du que nous partageons une même passion. Surement beaucoup du premier. Bravo Treer1 , tu as donné le ton, on dirait que ton fantôme et ta discrète présence continue de nous tenir. Merci.
MikeKing, tu m’as demandé une autre histoire. Je vais t’en servir quelques-unes. Pas ici, puisque mon introspection ne regarde pas tout le monde. Je vais mettre ça dans la section protégée par mot de passe, à l’abri de ce monstre fureteur qu’est devenu Google.
TTQ-j-p l’a bien compris, lui, que je suis rongé du dedans d’un désir malsain. Je ne voudrais pas embêter personne. J’intitulerai mes histoires personnelles par un « Une histoire de Louis¨. Entre parenthèses, parce que la vie en est pleine.
Gaston, tu viens de me donner le OK pour parler de «lui».
Ce post est une de mes histoires. Écrites il y a plus de dix ans. Je pilotais déjà depuis un boutte. Lauzon m’avait permis d’être son ami. Il m’avait présenté à ce pauvre Gaston qui m’amena à son camp, en hydravion, en regardant mon maigre bagage d’un air dédaigneux de tout ce qui pèse plus qu’une plume, calculant son gross weght de 180, ne sachant pas qu'il allait plusieurs années plus tard se faire niaiser à répétitions par moi sur le site des ailes. Rendu au camp, Lauzon me montra à voler, dans son cub. Ce Cub qui devint mon premier avion. Gaston peut vous confirmer, être son ami n’était pas de tout repos émotivement. Je comprenais à peine comment Gaston résistait encore à cette amitié.
Je n’ai jamais écrit avant sa mort. Rien. Niet. Au collège, je remettais toujours une feuille blanche en composition française. Pas question d’ouvrir la moindre fenêtre pour que le prof me regarde l’intérieur. Je lui remettais une feuille blanche. Ila prenait, faisait semblant de la lire, puis me mettait zéro. Disons que je n’ai jamais compris comment j’ai redoublé qu’une couple de fois, passant lentement à une classe supérieure jusqu’au Cegep.
Une fois je suis monté vers le nord. Pour aller faire la descente en canot de la Koroc. Cette magnifique rivière qui fend les monts Torngatts. Je volais en même temps que Gaston. On se parlait sur 122,75, Gaston et moi. Il montait lui aussi là-bas, mais plus à l’ouest, pour la pêche. Lauzon devait venir le rejoindre le lendemain. Mais tout ce temps, Lauzon était déjà dans les airs. Il nous espionnait sur la fréquence. Chien de tête, il n’avait jamais pu attendre son lendemain si Gaston et moi on était parti. Il devait toujours être le premier. Il est arrivé sur la fréquence, avouant sa présence, nerveux d’avoir pu ne pas être le premier. On a essayé de se voir dans les airs. Je pense l’avoir aperçu, au loin, dans un éclair au soleil, me dépassant. Puis il a disparu vers l’avant. Le canot que j’avais d’attaché sur les flotteurs me ralentissait trop pour le rattraper. Mon ami venait de disparaitre.
J’ai viré vers Georges River. Gaston et Lauzon sont partis ensemble vers la Koksoak. Salut Gaston, Salut Lauzon. J’ai continué vers la Koroc. Venez me voir, amis chers, je garde sur moi un portable d’avion pour vous jaser sur 122,75 si jamais vous venez me survoler..
Je ne l’ai jamais revu. L’accident n’a rien laissé de lui. Ce fut mon premier deuil. Je vous conterai une autre fois l’hélico qui est venu me chercher, la chute Ourlouttuk, le canot jaune qui est toujours là, en haut des chutes, dans la toundra. Pas tout de suite pour cette histoire. Là, je ne vous conte que la douleur de la perte d’un ami.
Un an jour pour jour, j’ai pris mon ordine et j’ai écrit. Écris une partie de cette histoire d’amitié qui avait été la mienne avec Jean-Claude.
Vous avez vu la météo ? Le printemps déjà. Il n’y aura pas eu d’hiver. On s’est fait voler notre plus beau mois de skis. Hugo n'aura pas la chance de profiter de ses skis. Il va les vendre cet été. Il passera à coté de la vie. Et demain, déjà, ça sera la saison des flottes, chers amis des Ailes
Bientôt mon hélio aura deux gros pontons attachés après les pattes. Bientôt je ne serai plus seul à voler sur 122,75, la fréquence de babillage des pilotes de brousse. Bientôt j'entendrai Gaston lancer à tout hasard sur les ondes: -Dieu est-il là?"
Car Gaston me surnomme Dieu, vu que je suis toujours là, dans les airs, au bout de la radio, pour lui répondre lorsqu'il décolle.
- Dieu est-il là?
- Salut, mon Gaston ! Oui, je suis là
Le début de la saison des flottes, chaque année, c'était le moment où je "reprenais " avec Jean-Claude. L'hiver était toujours difficile pour notre "couple". Moi, je devais travailler. Lui, il voulait qu'on aille jouer. Je ne retournais plus ses appels. Il se choquait. Je me cachais. On ne se parlait plus. Même dans notre silence, il me disait un paquet de choses aussi méchantes que vraies. J'encaissais sans répondre. Blessé de toutes ces méchancetés vraies qu'il n'avait même pas pu me dire vu qu'on ne s'était même pas parlé, je me recroquevillais sur moi-même, craignant un coup de téléphone qu'il ne m'aurait pas fait anyway. L'enfer sur terre.
Puis arrivait le printemps. Puis arrivaient les flottes. Puis arrivait le moment où on se retrouvait au même moment dans les airs. En l'entendant s'annoncer sur la radio, mon coeur bondissait. Le sien aussi, j'en suis certain. Mine de rien, sans rien montrer des blessures laissées par toutes ces méchantes choses qu'on ne s'était pas dites, on commençait à parler de tout et de rien avec une intensité toute Lauzonnienne. Non, en fait on commençait à parler d'huile. D'huile à moteur d'avion. Il me demandait mon opinion sur cette nouvelle huile, comme on demande une opinion politique. Ou comme on fait une déclaration d'amour. Lui et moi, sur les ondes, nous glissions dans d'interminables discussions sur ces lubrifiants si nécessaire pour faire rouler nos mécaniques. Les autres pilotes, exaspérés, changeaient de fréquence. Nous, on restait enfin tout seuls sur 122,75, à se parler d'huile, en faisant attention de ne pas se blesser. Comme deux amoureux qui se retrouvent. Les mots, inutiles, n'avaient aucune importance. Le ton, lui, disait tout:
- Écoutes, Louis, je sais que tu utilises la 15W50 de Shell, je sais que c'est moi qui te l'as fait découvrir, comme plein d'autres choses d'ailleurs, je sais que je t'ai dit que c'était la meilleure, mais je pense qu'on devrait peut-être revenir à la Phillips straight, celle dans la canette bleue, moins cher, tout aussi lubrifiante même si elle n’est pas multigrade... etc., etc. blablabla
Gaston qui le connaissait mieux que moi, si il nous entendait, devait traduire dans sa tête :
- Salut Louis, je suis content de te parler, espèce de salaud sans coeur, je t'aime quand même ...
- Moi aussi, Lauzoné. Pardonne-moi, je t'aime, même si tu me fais chier. Où es-tu? Atterris et j'arrive, on va se faire de grosses accolades , on va se regarder dans le fond des yeux, pi on va se promettre qu'on ne se quittera plus jamais... plus jamais, Jean-Claude, on ne se quittera. Pas même d'une semelle, pas même d'une longueur d'aile...
Et, seul dans mon avion, avec la voix de Jean-Claude qui me jasait d'huile d'avion dans le fond des deux oreilles, les larmes me venaient aux yeux d'avoir retrouvé mon ami.
C'était ça, le printemps, pour moi, depuis quelques années.
Après l'accident, on a mis les soixante livres qui restaient de son corps dans un sac de plastique. Un ami de Kuujuak pris d'une main le sac contenant Jean-Claude et de l'autre le sac contenant l'autre victime si adorable dont la mort bouleversa tant le coeur des Québécois. Leurs corps furent rapatriés à Montréal. Jean-Claude incinéré subito presto. Je n'ai jamais vu de cercueil. Je ne l'ai jamais cru ou senti mort. Quand le téléphone sonnait, trop tôt le matin, je pensais que c'était lui. Quand je voyais de dos une tignasse poivre et sel sur Saint-Laurent, je sursautais, pensant le voir. Je n'ai pas eu à faire de deuil, il était toujours vivant.
J'ai commencé mes cauchemars un peu avant Noêl : Jean-Claude entrait chez Kanuk alors que j'étais dans le jus. Il me demandait de l'accompagner pour magasiner des «shrinking tube». Ce sont de petits tuyaux en plastique noir et souple qui rétrécissent à la chaleur. Pratiques pour protéger les connexions électriques ou faire la finition des bouts des cordes. Je lui disais que j'étais trop occupé pour l'accompagner. Il insistait:
- Il faut que tu viennes, Louis. Depuis que je suis mort, les vendeurs ne me voient pas et je ne peux pas me faire servir. Il n'y a que mes amis qui m'entendent et me voient. Viens me servir d'interprète. Tu me dois bien ça...
Dans ce cauchemar d'ailleurs si souvent vécu, il insistait jusqu'à ce que j'accepte. Puis on partait magasiner ses «shrinking tube». De magasin en magasin, tous étaient en rupture de stock:
- Jean-Claude, s'il te plaît, il faut absolument que je retourne travailler...
- Non, pas question que tu m'abandonnes encore, on prends ton avion et on va maintenant à Burlington, je suis sûr qu'ils en ont de toutes les grosseurs et peut-être même des rouges, des jaunes et des bleus ! Allez ! on y va. Tu me dois bien ça ...
Et, dans mon rêve, on repartait pour Burlington. Parce que dans la vraie vie, je lui devais bien ça.
Je me réveillais épuisé. Le cauchemar revenait presque chaque nuit. J'étais exaspéré. Je me couchais nerveux de le voir retontir dans mon sommeil. J'ai finalement pu régler mon problème: j'ai acheté un gros tas de shrinking tube. J'en ai laissé dans mes chars, dans mon avion, à côté de mon lit... Avant de m'endormir, je les regarde et je dis à Lauzon :
- Check ça, Lauzon, il en a de toutes les grosseurs, pi dans plein de couleurs, sers-toi pi laisses-moi dormir en paix
Je n'ai plus mes cauchemars maintenant.
J'ai eu FXOH sur flottes ce beau vendredi de printemps. En décollant, quelque part il me restait un espoir de l'entendre. Mais il n'était pas sur la fréquence. J'ai volé tout ce que j'ai pu voler, mais jamais il ne s'est annoncé. Bizarre. Il a commencé à mourir lentement et doucement. J'ai lentement et tout doucement, commencé à pleurer.
Ce matin, je suis allé à Boston pour un show de tissu. Depuis que la mode de la mondialisation, nos fournisseurs nous font de la merde. Il faut chercher continuellement de nouvelles sources. J'ai dédouané à Burlington. Parce que les douaniers me connaissent, c'est plus facile qu'à Boston.
- Still doing those winter jacket, sir ?
- Yes. And still flying
- By the way, I was looking at the canadian television last summer, and I saw that your friend, the film-maker, killed himself. I am very sorry.
- Well... yes... heuu...beuhhhh
Pis la babine du bas commença à me trembler. Les yeux voulaient me sortir de la tête à cause de la pression des larmes retenues. Je commençais à souffler comme un chevreuil en rut. Et enfin, tout lâcha et je braillai sans contrôle sur le bureau du douanier. Vous auriez dû voir sa tête! Jamais douanier américain ne se sentit si mal. Le pauvre ne savait plus où se mettre. Il regardait ses souliers, le plafond, ses ongles... Ça me faisait rire en même temps que je braillais. Toute une scène! Et moi:
- Excuse-me, sir, it is just nervous, no problem, no problem...
No fucking problem, c'est juste que je suis pu capable d'arrêter de brailler.
Tu va encore me gâcher mon printemps, Lauzon de merde
Et tu me manques tellement, maudit chien sale
J'aurais tant aimé que tu le saches.
Louis
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