Ah oui, le Groenland et ses horaires. Quand la tour n'est pas en service , pas le droit de voler. Ça veut donc dire que pour certains aéroports, ça devient interdit après 16:00. Ou le dimanche. Ou un jour férié . Faut checker. L'amende est salée.
Je partais de Broughton Island. C'était un dimanche matin et ils annonçaient beau ce dimanche, et mauvais pour les semaines qui suivaient. Fa que j'ai déposé le plan de vol, et décollé pour Sonder Strom Kangerlussuaq. En partant de Brouhton Island tu te retrouves direct au-dessus de la mer vers le Groenland . T’as pas le doit de monter plus haut que 5500 pieds en VFR. Pi tu es obligé de faire un détour vers le nord pour une zone de chez pas quoi. Alors les vagues de l’Atlantique nord, et les plaques de glace, tu les vois une couple d’heures. En atterrissant ( la piste est loooonggue, j'ai atterri sur les chiffres et j'ai dû taxer une demi-heure pour me rendre au terminal ) le douanier arrive. Il me dit avec le sourire que chu dans la marde, car on est dimanche. Que ça va me coûter un max. J'essaie de négocier. Il finit par me dire que si je ne paye pas, c'est la prison. L'alternative c'est des travaux communautaires.
- C'est quoi ça ?
- Une façon d'éviter l'amende. Êtes-vous docteur ? Dentiste ? Savez-vous faire quelque chose qui pourrait servir la communauté ?
- Heu... non. Je peux bien aller arracher une dent ou deux, si vous voulez, mais je ne garantis pas le résultat.
- Mais que savez-vous faire dans la vie ?
- Heu.... pas grand-chose. Je suis couturier. Alors je ne sais pas faire grand-chose.
- Réparez-vous les machines à coudre ?
( j'ai vu chez mon douanier une certaine ouverture )
- Si je répare les machines à coudre ?!? Oh là là !! Vous ne trouverez pas meilleur réparateur de machine à coudre dans tout le Groenland !!
- Parfait. Il n'y a qu'une seule machine à coudre dans le village, et elle est brisée. Si vous réussissez à la réparer, ça fera office de votre amende de travaux communautaires.
On est arrivé au village. Rentré chez une dame. La machine était une industrielle Pfaff d'excellente qualité. J'étais soulagé, car si ça avait été une cochonnerie, le morceau aurait peut-être été brisé. Mais une Pfaff, c'est du solide. Elle ne devait être que désynchronisée.
- Bonjour madame, laissez-moi voir.
Je prends un air grave, un air de quelqu'un qui connaît des choses. Des choses que les autres ne connaissent pas. Bon, vous connaissez cet air, on se l'est tous fait servir un jour. Je roule mes manches. Je me caresse la barbichette en regardant la machine a coudre. Je hoche de la tête comme ce docteur qui avait annoncé à mon ami qu'il avait un cancer.
- oui, bon, ça va prendre un miracle. Vous êtes chanceuse, c'est ma spécialité les miracles de machine à coudre.
Le douanier me regarde. Je sens que j'ai besoin que la cristie de machine à coudre couse sinon il me coffre pour crime de dimanche. Je tourne lentement la machine. L'aiguille descend, le crochet tourne. Le crochet arrive juste un poil trop bas que le chat de l'aiguille. Un quart-de-pouce seulement. Donc il ne ramasse pas le fil à coudre pour faire sa boucle. Elle a dû frapper de quoi de solide et la barre d'aiguille a juste remonter d'un poil. Classique. Ça se répare en 30 secondes. Tu dessers la vis, tu redescends la barre d'aiguille, et c'est réparé.
Mais là, pas question de faire ça en trente secondes. Fallait donner le change pour au moins la valeur de l'amende salée. Alors je m'y mets, je fais semblant de forcer sur un engrenage, puis un autre, je demande une loupe. Je regarde comme si j'inspectais quelque chose de terrible. Je tapote ici et là en faisant attention de ne rien toucher à l amécanique puisque tout est déjà parfait. Je me fout un peu de graisse dans le visage, pour faire pire. Je fais meme des bruits de bouche pour faire grave. Hmmmmm, AHHHHHH, ouf .... Je me regarde le doigt comme si je m'étais blessé. Discrètement je regarde ma montre. J'avais décidé d'y passer au moins vingt minutes meme si ca se réparait en 30 secondes. Finalement je dessers légerment la vis qui tient la barre de l'aiguille, je redescend l'aiguille à la hauteur d crochet, je ressere la vis. Voilà, c'était réparé.
- Bon, madame, essayez la ... On va voir. Ouf, ce n’était pas facile, ( ouf ouf ) mais croisons-nous les doigts. C'est dimanche, un miracle est possible.
Vous auriez dû voir le sourire de la dame quand elle a cousu et que la machine cousait comme un petit moulin! La seule machine à coudre du village était revenue en fonction. J'étais son héros. Le douanier m'a remercié. La dame m'a accompagné jusqu'a la voiture. Elle a crié quelque chose en Inuktituk aux voisins. Ils sont accourus en me souriant avec , dans les mains, tout et chacun quelque chose à faire recoudre par la dame. Le douanier est revenu me reconduire à l'hôtel sur la piste de Sonder Strom en me serrant la main.
- Thank you so much, thank you
- De rien, de rien. C’était pas évident, mais on y est arrivé.
Mille ans plus tard, quand je suis repassé par là, avec le PC6, je suis allé au village, demandant pour une machine à coudre. Je voulais revoir la dame. Mais je ne l'ai pas trouvée. On m'a assuré que personne n'avait de machine à coudre au village. Que maintenant, avec Amazon, plus personne ne s'emmerdait à réparer les coutures. C'était plus simple de commander une nouvelle paire de pantalons que de la réparer.
J'ai compris que j'étais d'une autre époque. Que j'étais devenu vraiment inutile. C’était maintenant l’époque de l’éphémère. Que j’avais fait fausse route en faisant des manteaux qui durent une vie.
Qu’il vaudrait mieux que j’apprenne à arracher des dents, si je voulais servir encore à quelque chose.
Je continue ?
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