J'arrive du Mille Miglia, Dolo. Je te dis ça parce qu'il parait que Sarto te lit nos messages. Alors je te conte. Pour toi, couchée dans ton lit, avec ces tubes qui te font respirer. Un peu d'Italie, un peu d'Australie. Dieu que l'Italie est belle. Généreuse, riche et belle. Ça me fait rigoler pas mal ces bonzes du FMI et autres organismes qui la donne en faillite. Tout suinte la beautée, le savoir vivre, le plaisir de la table. La richesse de la beautée et du bon goût partout. Un pays en faillite ?! Si c'est ça, la faillite, vivement une comme ça pour ici.
Juste avant, comme tu savais Dolo, l'Australie. Avec mon avion Winnebago volant. Tout un privilège pour un pilote de pouvoir se promener là-bas, loin de chez soi. Neil a enlevé les ailes sur l'avion et l'a mis dans un container. Shippé là-bas en bateau. Remonté à Sydney. Oui, oui, je sais Dolo, tu vas trouver que ça m'en prend beaucoup pour arriver à m'amuser. Mais bon, quand j'accrocherai ma casquètte de pilote, ça va m efaire de beaux souvenirs. Des souvenirs de déserts sans fins, de plage qui n'en finissent plus, de marches dans des canyons rouges. Je suis extrêmement privilégié d'avoir pu vivre ça. Avec ce Winnebago volant. Beau trip. Belles aventures. J'ai chassé aussi la coquelrelle géante pour mon ami Georges. Elles sont énormes. Grosses comme la main. Il en voulait une. Il en a de partout. De Papouasie, de Thailande , de Paris, du Panama. Mais d'Australie, et c'est la plus grosse de toutes, il n'en avait pas. Je demande à tout l emonde. Surtout aux jardiniers. Je marche dans les forêts en retournant le sol avec un bâton. C'est un but. Un but simple. C'est bien d'avoir un but simple dans la vie. Les buts compliqués, multiples, on finit par se perdre. On pense avoir réussi, puis finalement on n'est peut-être arrivé à rien.
C'est un canyon, Dolo. Ne me demande pas pourquoi que la terre s'est craquée comme ça, aucune idée. Mais ça ne ressemble pas à de l'érosion d'eau. Ça semble plus comme un glissement de terrain. Un mouvement de la plaque tectonique ou autre bizarrerie du genre. Au sud de la chaine des Flinders Range. Les montagnes de l'Australie du sud. Pas de grosses montagnes, juste jolies. Même chez les montagnes, on a des fois avantage à être joli plutôt qu'immense. Question de ne pas trop faire d'ombre aux autres. S'inquiéter de l'autre. Toi , Dolo, tu passes ton temps à s'inquiéter de l'autre. Qu'il soit ici, ou très loin. Du moment qu'il soit en avion. Tu t'inquiètes pour nous. Pour eux. Comme pour moins t'inquiéter de toi-même, Dolo. C'est gentil de faire attention de ne pas faire d'ombre aux autres. Mais là, Dolo, t'as besoin de nous. Alors on est là. Pour toi tout seul. Pour toi dans ton lit avec tes poumons malades. Des poumons qui ne veulent pas t'amener la brise fraîche et innocente que tu es pourtant si souvent pour nous.
Une petite randonnée dans le fond du canyon est proposée par le parc national dans les guides pour routards. Un canyon tout sec, tout rouge. Un canyon d'Australie.
Dans le fond du canyon, un kangourou tout gris, tout lent, tout fatigué. Il me regarde. Un peu craintif, mais pas assez pour se sauver de quelques bonds. Des grands yeux avec de longs cils. Des yeux de kangourous.
- Salut toi, vieux kangourou…
Que je lui ai dit, Dolo. Jamais je n'aurais cru qu'il me répondrait. Un kangourou, ça ne répond pas. Enfin, pas souvent. C'est que c'est un peu snob, un kangourou. Tellement différend de l'évolution que nous, que ça se croit un peu supérieur. Alors ça ne répond pas trop souvent. Tu comprends, Dolo ? Mais là il m'a répondu.
- Vieux toi-même. Pi pas trop poli à part de ça. Ça ne te dirais pas de commencer par me vouvoyer ? Pi après, une fois qu'on se sera évalué un peu, qu'on aura échangé un peu, alors on passera au tutoiement, pour se montrer qu'on est un peu rendu à la même place, toi et moi. Question de gris, disons que tu m'as même dépassé
- Heu…. S'cusez. Je ne voulais pas vous offenser. Je suis canadien
- Belle excuse ! Mais kessé qu'on s'en fout !! Bon, allez, ça va, tu peux passer directement au tutoiement sans qu'on se flaire les couilles, le canadien.
- Tu habites ici, Kangourou ?
- Tu t'es vu avec ton moustiquaire à la con ? Non, je n'habite pas ici. En fait si. Avant j'habitais en haut. Dans les champs. Mais là je suis vieux comme ça se peut pas. Chaque bond me fait mal aux cuisses.
- C'est plus sécuritaire ici ? Il y a moins de dingos?
- Pffff.... Je me crisse des chacals. Pas peur d'eux. Je peux t'en éventrer un à ma guise. Avec simplement un bon coup de pattes. Tu veux boxer, le canadien ? Non… C'est à cause des jeunes. Des plus jeunes, en fait. Je ne veux pas qu'il me voie ainsi. Ça leur foutrait la trouille, de voir leur futur. Pi j'ai ma fierté. Si je pars, je ne veux pas qu'ils me voient allongé par terre, dévoré par les oiseaux et les fourmis. Je veux disparaitre sans leur laisser de mauvaises visions. Mais j'ai peut-être trop attendu. Moi je voulais partir d'en haut. Monter une dernière fois en haut du canyon, regarder autour, les champs, les arbres, le paysage, puis d'un bond, sauter dans le vide jusqu'ici. Paf ! Fin de l'émission. Ni vu, ni connu. Les jeunes ne passent jamais par le fond du canyon. Les fourmis auraient eu le temps de nettoyer. Mais j'ai trop attendu. Je ne suis même plus certain de pouvoir regrimper en haut. Ça fait une couple de fois que j'essaie, mais je tombe sur un obstacle infranchissable. Un peu plus loin. Juste au bas de la pente.
- Es-tu en train de me dire que chu pogné ici moi aussi par un obstacle !?
- Non, le canadien, toi ça va aller. T'as pas de coeur. J'y pense, tu pourrais peut-être me rendre un petit service ? C'est à propos de cet obstacle.
- N'importe quoi, Kangourou, c'est vrai que je n'ai pas de coeur, mais je suis serviable à souhait.
- Un peu plus loin, au début de la pente, regarde par terre. Tu verras une fleur, une toute petite fleur. Mauve ou bleue. Ça dépend comment le soleil l'éclaire. Ça dépend toujours de comment le soleil nous éclaire. Quand tu arriveras à elle, dis-lui que je m'excuse. Que je suis désolé. Ou plutôt non, ne lui dis rien. Fais juste lui piler dessus. Avec tes grosses chaussures. En t'assurant de bien l'écraser pour ne pas qu'elle repousse. Ou arrache la. Mais en tout cas, arrange toi pour qu'elle ne soit plus là. Après, je pense que je serai capable de remonter en haut pour une dernière fois. Parce que quand je la vois, tout jolie, toute poussante, toute vivante, ça me donne le cafard de partir. Mais on a beau vouloir rester, un moment donné, ce n'est plus possible. Mais je n'arrive pas à passer au delà de cette fleur. Elle me regarde avec des yeux de… heu… elle me regarde, voilà, c'est tout. Ça me fout le cafard de partir qu'elle me regarde. Tu comprend, le canadien ? Je ne suis plus habitué qu'on me regarde
- Oui, je comprend.
- Tu me promets que tu vas lui faire son compte, à cette salope ?
- Promis, juré, craché. Salut Kangourou. Je vais m'occuper de ta saloperie de fleur. Que ton dieu t'accueille, ensuite
Je suis parti sans retourner la tête. Mais du coin de l'oeil, je l'ai regardé me regarder partir. Aucune idée de l'air qu'il avait. Comme si il en avait plus, d'air, le vieux kangourou. J'aurai sud lui demander, pour la coquerelle géante de Georges. Il aurait peut-être su, lui, ou trouver cette bestiole que je devrai coudre dans mes bobettes pour la passer aux douanes sans ameuter les inspecteurs d'agriculture.
Je marche dans le fond du canyon. En regardant pour la fleur qui faisait si peur à Kangourou. Mais ça ne doit pas être dans ce coin, parce que le sol n'est que roche sèche. Aucune plante n e pourrait y pousser. Les fleurs ne poussent pas dans la pierre, bordel ! Je tombe pourtant dessus . Au milieu de rien tout sec. Si le kangourou ne m'avait pas mis en garde, je lui aurais probablement pilé dessus sans la voir. Probablement une fleur qui avait poussée que pour lui. Elle s'était voulue invisible pour les autres. Surement la seule fleur du canyon. Pas plus grosse qu'une tête d'épingle. Poussée dans la pierre rouge. Comment une si jolie fleur avait pu pousser dans de la garnotte sèche ? Aucune eau, aucune terre. et elle était là, toute resplendissante. minuscule, aussi, comme si elle ne voulait pas s'imposer. Elle ne voulait exister que pour le vieux kangourou. Je l'ai prise en photo. En me disant secrètement que je pourrais l'offrir un jour à un personne chère, pour lui faire comprendre que des fois un personne nous touche. Un photo pour offrir une fleur, toute petite. Une histoire et une fleur.
Mais je ne l'ai pas arrachée ou écrasée. Je l'ai laissé là. Pour Kangourou. Pour lui donner le cafard. Je l'imagine déjà vouloir remonter une dernière fois. Reluquer avec méfiance de loin pour voir si elle est encore là. L'apercevoir. Maugréer contre ce canadien qui ne tient pas ses promesses. Faire demi-tour, en s'arrachant à son regard, avec peut-être presqu'un dernier sourire de vieux kangourou fatigué qui vient d'avoir un moment de bonheur. Un vieux kangourou pris au piège dans le fond d'un canyon par une minuscule magnifique petite fleur qui était poussée là par miracle. Poussée sur un sol ou rien n'aurait du pousser.
Je suis retourné à mon avion. L'air pensif. c'est pas tous les jours qu'on jase avec un Kangourou. Je me suis couché sur le dos, sur le lit. Le lit qu'il y a dans cet avion, à l'arrière. J'ai regardé vers le haut. Regardé dans le vide. C'est une expression consacré que de dire qu'on regarde dans le vide quand on regarde en soi. J'ai sorti mon iphone. Pour voir kessé qui s'était dit sur Les Ailes. Incroyable aussi comment une communauté de gens que je n'ai jamais vu peuvent devenir important pour soi. Il y avait un message de toi. Il y a toujours un message de toi. Je me suis demandé kessé que ça serait, sans toi. Ça serait pas pareil, c'est certain. Manquerait dune couleur, manquerait de rose. C'est important le rose, surtout dans une gang de gars. C'est comme une bouffée d'air frais, le rose, dans une gang de gars. Tu es la mieux plaçée, Dolo, pour savoir à quel point c'est important, de l'air. Nous on prend ça pour acquis, l'air qui rentre dans nos poumons. On n'y pense même pas. Alors que pour toi, l'air, c'est un combat continuel, nuit et jour. J'ai regardé combien de messages que tu avais écrits. Au dessus de cinq mille. Ça approchait les six mille. Six mille petite bouffée d'air frais de couleur rose. Je t'ai trouvé tellement généreuse d'offrir tant de bouffée d'air fraiche alors que pour toi c'est si difficile de respirer.
Merci, Dolo. Reçoit cette fleur impossiblement poussée dans une craque tectonique. Minuscule fleur. Parce que les fleurs n'ont pas besoin d'être immense pour trouver leur sens. Et elles arrivent à pousser à des endroits ousse qu'on s'y attend le moins, des fois. Trouve ce courage que tu as tant, pour aujourd'hui. Pour quand ils vont t'enlever ton tube qui te fais respirer. Aller hop, Dolo, dis à tes poumons de faire rentrer une petite bouffée d'air frais comme tu nous donnes si souvent. Une petite bouffée d'air rose.
Juste une petite bouffée d'air, parce que tu es importante pour nous. On a besoin de toi. Pour le rose. Et pour toi. Ce qui revient au même. T'es notre petite fleur rose, Dolo.
Bisoux
Louis
